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DOCUMENS INÉDITS SUR MARIE STUART.

duc d’Albe correspondait avec Élisabeth et neutralisait les efforts de son maître Philippe II ; Catherine de Médicis négociait avec la reine d’Angleterre, qui feignait de vouloir épouser le duc d’Alençon. En 1574, treize années avant la mort de Marie, sa couronne était en débris. Elle passa ces longues années à lutter inutilement contre la fatalité qui la pressait, à correspondre avec le Midi, dont elle était le représentant vaincu, à implorer et à taquiner Élisabeth, et à éveiller autour d’elle cet intérêt passionné qui mena le duc de Norfolk à l’échafaud. Le seul espoir de salut pour elle eût été le silence, le repos et le renoncement ; elle ne put s’y soumettre. Après dix-huit ans d’une captivité dont le martyre brisa son cœur sans apaiser l’activité de son esprit, le bourreau parut et la hache tomba, appelés par cette lettre de Marie à Élisabeth qu’elle plaignait charitablement « d’être vieille, hors d’âge, insultée par ses jeunes amans, et raillée par l’Europe. » Nous la laisserons sur le seuil de cette prison qui est sa tombe. Les documens publiés par le prince de Labanoff, Von Raumer et Gonzalès la montrent aussi empressée et aussi habile à tramer des intrigues dangereuses, et en définitive funestes, au sein de son cachot que pendant sa liberté. Qu’il nous suffise d’avoir jeté quelque lumière sur cette ame de femme, qui exagéra les défauts, les faiblesses et les ressources de la femme. Jamais le poète par excellence, Dieu qui prépara la scène de nos passions brisées contre la nécessité, ne jeta créature humaine dans les conditions d’un drame plus tragique.

Ce n’est point, on le voit, par une affectation de rhéteur que j’ai montré le Midi et le Nord, le calvinisme et le catholicisme, Knox et Marie Stuart face à face, l’un comme symbole du devoir poussé jusqu’à la barbarie, l’autre comme type de la volupté, de l’entraînement et de la passion. Je m’arrête au moment où leur lutte s’achève. Les passions nationales ont consacré des volumes à ces deux personnages diversement coupables. Quant à Marie, les chroniques modernes n’offrent point de problème plus curieux. Si sa vie avait été pure et son malheur immérité, la mémoire des peuples l’eût couronnée en l’oubliant, comme elle a fait de Jane Gray. Si, dans cette ame ardente, il y avait eu plus de vice que de passion, elle eût dormi dans un coin de l’histoire avec les monstres, Isabeau, Messaline, ou la Brinvilliers. Mais c’est un être sensible, éloquent, passionné, jeune, beau, souvent coupable, trop souvent criminel, instrument d’un parti puissant qui se charge de son apothéose, adversaire du parti contraire qui la traîne dans la fange des calomnies ; c’est quelque chose de si déchu et de si lumineux, de si violent