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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

gnole, y compris ceux des familles aragonaises, mallorquines, roussillonnaises et languedociennes. Le manuscrit, qui paraît être du XVIe siècle, a appartenu à la famille Dameto, alliée aux Despuig et aux Montenegro. En le feuilletant, nous y avons trouvé l’écu de la famille des Bonapart, d’où descendait notre grand Napoléon, et dont nous avons tiré le fac-simile qu’on verra ci-après…

« On trouve encore dans cette bibliothèque la belle carte nautique du Mallorquin Valsequa, manuscrit de 1439, chef-d’œuvre de calligraphie et de dessin topographique, sur lequel le miniaturiste a exercé son précieux travail. Cette carte avait appartenu à Améric Vespuce, qui l’avait achetée fort cher, comme l’atteste une légende en écriture du temps, placée sur le dos de ladite carte : Questa ampla pelle di geografia fù pagata da Amerigo Vespucci CXXX ducati di oro di marco. Ce précieux monument de la géographie du moyen-âge sera incessamment publié pour faire suite à l’atlas catalan-mallorquin de 1375, inséré dans le XIVe vol. , 2e partie, des Notices de manuscrits de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. »

En transcrivant cette note, les cheveux me dressent à la tête, car une scène affreuse se retrace à ma pensée. Nous étions dans cette même bibliothèque de Montenegro, et le chapelain déroulait devant nous cette même carte nautique, ce monument si précieux et si rare, acheté par Améric Vespuce 130 ducats d’or, et Dieu sait combien par l’amateur d’antiquités le cardinal Despuig !… lorsqu’un des quarante ou cinquante domestiques de la maison imagina de poser un encrier de liége sur un des coins du parchemin, pour le tenir ouvert sur la table. Le parchemin, habitué à être roulé, et poussé peut-être en cet instant par quelque malin esprit, fit un effort, un craquement, un saut, et revint sur lui-même entraînant l’encrier, qui disparut dans le rouleau bondissant et vainqueur de toute contrainte. Ce fut un cri général ; le chapelain devint plus pâle que le parchemin. On déroula lentement la carte, se flattant encore d’une vaine espérance ! L’encrier était plein, mais plein jusqu’aux bords ! La carte était inondée, et les jolis petits souverains peints en miniature voguaient littéralement sur une mer plus noire que le Pont-Euxin. Alors chacun perdit la tête. Je crois que le chapelain s’évanouit. Les valets accoururent avec des seaux d’eau, comme s’il se fût agi d’un incendie, et, à grands coups d’éponge et de balai, se mirent à nettoyer la carte, emportant pêle-mêle rois, mers, îles et continens. Avant que nous eussions pu nous opposer à ce zèle fatal, la carte fut en partie gâtée, mais non pas sans ressource ; M. Tastu en avait pris le calque