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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

Les Majorquins prétendent que leur cathédrale est très supérieure à la de Barcelone, de même que leur Lonja est infiniment, selon eux, plus belle que la de Valence. Je n’ai pas vérifié le dernier point ; quant au premier, il est insoutenable. Dans l’une et dans l’autre cathédrale, on remarque le singulier trophée qui orne la plupart des métropoles de l’Espagne : c’est la hideuse tête de Maure en bois peint, coiffée d’un turban, qui termine le pendentif de l’orgue. Cette représentation d’une tête coupée est souvent ornée d’une longue barbe blanche, et peinte en rouge en dessous pour figurer le sang impur du vaincu. On voit, sur les clés de voûte des nefs, de nombreux écussons armoiriés. Apposer ainsi son blason dans la maison de Dieu était un privilége que les chevaliers majorquins payaient fort cher ; et c’est grace à cet impôt prélevé sur la vanité, que la cathédrale a pu être achevée dans un siècle où la dévotion était refroidie. Il faudrait être bien injuste pour attribuer aux seuls Majorquins une faiblesse qui leur a été commune avec les nobles dévots du monde entier à cette époque.

La Lonja est le monument qui m’a le plus frappé par ses proportions élégantes et un caractère d’originalité que n’excluent ni une régularité parfaite ni une simplicité pleine de goût. Cette bourse, qui fut commencée et terminée dans la première moitié du XVe siècle, que l’illustre Jovellanos a décrite avec soin, et que le Magasin Pittoresque a popularisée par un dessin fort intéressant, publié il y a déjà plusieurs années, M. Laurens l’a retracée également, et je renvoie le lecteur à son article descriptif. L’intérieur est une seule vaste salle soutenue par six piliers cannelés en spirale, d’une ténuité élégante. Destinée jadis aux réunions des marchands et des nombreux navigateurs qui affluaient à Palma, la Lonja témoigne de la splendeur passée du commerce majorquin ; aujourd’hui, elle ne sert plus qu’aux fêtes publiques. Ce devait être une chose intéressante de voir les Majorquins, revêtus des riches costumes de leurs pères, s’ébattre gravement dans cette antique salle de bal ; mais la pluie nous tenait alors captifs dans la montagne, et il ne nous fut pas possible de voir ce carnaval, moins renommé et moins triste peut-être que celui de Venise. Quant à la Lonja, quelque belle qu’elle m’ait paru, elle n’a pas fait tort dans mes souvenirs à cet adorable bijou qu’on appelle la Cadoro, ou l’ancien hôtel des monnaies, sur le Grand-Canal.

Le Palacio-Real de Palma, que M. Grasset de Saint-Sauveur n’hésite point à croire romain et mauresque (ce qui lui a inspiré des émotions tout-à-fait dans le goût de l’empire), a été bâti, dit-on, en 1309. M. Laurens se déclare troublé dans sa conscience, à l’en-