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DE L’ALLIANCE ANGLO-FRANÇAISE.

Aberdeen, au lieu de lord Melbourne et de lord Palmerston ; supposez que le parti, jusqu’à ce jour peu favorable à la France, ait ainsi brisé l’alliance française et rétabli, au profit du souverain légitime de la Turquie, une sorte de sainte-alliance ; supposez que dans les détails de la négociation comme dans l’exécution de la convention il y ait eu si peu de franchise, de courtoisie, de ménagemens pour la France ; puis supposez que le parlement s’ouvre dans de telles circonstances et ait à rendre compte de sa conduite, de quel blâme énergique, de quelles éloquentes malédictions les whigs et les radicaux ne poursuivraient-ils pas une politique si déloyale et si imprévoyante ! « Vous triomphez, diraient-ils, parce que nos matelots se sont bien battus, et le succès actuel vous enivre ; mais ce succès, il faut que le pays en connaisse les déplorables conséquences. L’Angleterre avait un ennemi qui depuis dix ans ne cesse de marcher à sa rencontre, et qui, tôt ou tard, doit lui livrer un combat à mort. Elle avait un allié sur lequel, au moment décisif, elle pouvait compter. Eh bien ! pour un intérêt douteux, insignifiant, passager, vous avez voulu que l’Angleterre se joignît à son ennemi pour affaiblir, pour humilier son allié. Vous avez ainsi perdu cet allié, et préparé peut-être, pour un avenir prochain, la plus redoutable des coalitions. Vous avez de plus, en vous jetant dans les bras des états absolutistes, brisé à jamais l’union des états constitutionnels, cette union qui promettait de si nobles, de si pacifiques conquêtes à la liberté, à la civilisation. C’est là sacrifier le principal à l’accessoire, l’avenir au présent, la grande politique à la petite. La paix du monde compromise, les progrès de la civilisation arrêtés, l’alliance française perdue, la puissance russe doublée, voilà en définitive les résultats de votre funeste conduite. Retirez-vous donc, et cédez la place à des hommes qui pourront travailler à réparer les maux que vous avez faits. »

Si la question s’était ainsi posée et qu’un tel langage eût été tenu, la France du moins eût pu croire que le pays ne s’associait point à la conduite de son gouvernement. Au lieu de s’en prendre au pays, peut-être alors s’en serait-elle prise uniquement à ceux que, depuis cinquante ans, elle considère comme ses éternels ennemis. Mais ce sont les whigs qui ont signé le traité, et dès-lors toute illusion comme toute réparation est devenue impossible. Les tories ont approuvé le traité, parce qu’il est conforme à leur politique ; les whigs et les radicaux modérés, parce qu’ils soutiennent le cabinet. Les radicaux extrêmes sont seuls restés fidèles à l’alliance, et ce n’est pas assez.