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tous se promettent de garder au fond du cœur le long souvenir d’une conduite que rien ne peut justifier.

Maintenant faut-il, passant d’un extrême à l’autre, que la France se précipite en aveugle dans de nouvelles alliances et se pose systématiquement comme ennemie de l’Angleterre ? Quelques personnes le voudraient ; mais il n’y aurait, ce me semble, dans une telle politique ni dignité ni sûreté. De tout ce qui constitue une alliance réelle, la bienveillance réciproque, les rapports intimes et confians, les bons offices mutuels, il ne peut plus être question ; rien n’empêche d’ailleurs que les deux pays, quand ils seront d’accord, n’agissent encore en commun. Nous sommes aujourd’hui, par rapport à l’Angleterre, ce que nous avons été depuis dix ans par rapport aux autres puissances européennes, désireux de vivre en paix, mais libres de tout engagement comme de toute préférence, et prêts, si quelque collision éclate, à profiter, soit d’un côté soit de l’autre, de toutes les chances qui peuvent s’offrir à nous. Si cette situation a ses inconvéniens, elle a aussi ses avantages, et, puisqu’on nous l’a faite, nous devons l’accepter résolument, sans hésiter et sans nous en départir.

Cette politique d’isolement et d’expectative est tout simplement, au reste, celle que la chambre a conseillée dans son adresse et que le gouvernement a acceptée. On sait quel est mon avis sur ce qui s’est passé il y a trois mois, et sur la mission que le ministère est venu remplir. Selon moi, il y avait dans la question d’Orient une autre attitude à prendre, un autre rôle à jouer, et je persiste à croire que, même au mois d’octobre, une résolution plus énergique eût tout sauvé. Mais quand les faits ont été accomplis et le ministère changé, il est clair que l’attitude d’isolement était la seule possible. J’ajoute, pour être juste, que, cette attitude une fois prise, il me paraît qu’elle a été jusqu’ici bien gardée. Je n’en veux d’autre preuve que l’inquiétude qui se manifeste en Angleterre, et l’amertume avec laquelle la presse ministérielle commence à parler des ministres qu’elle exaltait naguère, entre autres de M. Guizot. J’espère que le gouvernement persévérera, et que ni injures ni caresses ne le feront dévier de son terrain. Encore une fois, nous ne sommes pas les ennemis de l’Angleterre : nous ne sommes plus ses alliés. Il faut que cela soit bien entendu et bien compris de tout le monde.

Il est une dernière réflexion qui me frappe. Supposez qu’au mois de juillet dernier un ministère tory ait gouverné l’Angleterre et que les signataires du traité s’appellent le duc de Wellington et lord