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DE L’ALLIANCE ANGLO-FRANÇAISE.

c’est de toutes les puissances qu’elle a besoin à la fois, c’est à toutes les puissances qu’elle a simultanément affaire.

D’une telle situation plus encore peut-être que du caractère national, est née cette politique égoïste, qui, depuis si long-temps, a signalé tous les cabinets anglais. Parce qu’elle est en sûreté, l’Angleterre veut se passer toutes ses fantaisies ; parce qu’elle a des intérêts divers dans toutes les parties du monde, il lui faut des appuis et des langages divers. Ne vous étonnez donc pas que l’Angleterre soit monarchique dans tel pays et républicaine dans tel autre, ici votre alliée, là votre ennemie, aujourd’hui pleine d’égards et de bienveillance, demain dédaigneuse et hautaine. Ne vous étonnez pas qu’elle emprunte successivement ou à la fois tous les principes et tous les tons. C’est là la condition de sa grandeur, de sa puissance et presque de son existence. On parle beaucoup depuis quelque temps de politique d’isolement ; la politique d’isolement par excellence est celle de l’Angleterre. Il entre seulement dans les calculs de cette politique de ne pas s’avouer elle-même et de prendre un autre nom.

Je ne discute pas la politique que je signale en ce moment ; je me borne à constater que cette politique existe et qu’elle paraît plus florissante que jamais. Or, la France, je le demande, y sera-t-elle prise une seconde fois ? Dans le résumé qui commence cet article, on a pu voir comment, dans les plus beaux temps de l’alliance, l’Angleterre s’est comportée à notre égard en Grèce, en Espagne, en Belgique, partout. On a vu un peu plus loin quels sont les véritables motifs, les motifs avoués du traité du 15 juillet. La France s’exposera-t-elle de nouveau à de semblables déceptions ? Voilà la vraie question, celle que je pose, et qui malheureusement ne me paraît pas susceptible de deux solutions. Ainsi, qu’on le remarque bien, il ne s’agit pas de savoir si l’alliance anglo-française, sincère et réelle, serait bonne pour la France et pour le monde. Sur ce point, je reste, pour ma part, fidèle à ma vieille conviction ; mais il s’agit de savoir si, de la part de l’Angleterre au moins, l’alliance anglo-française peut être sincère et réelle ; il s’agit de savoir en outre si la France doit s’accommoder d’être, selon les convenances et les caprices du moment, prise, quittée et reprise. Je ne le pense pas, et je crois être certain que la France est de cet avis tout entière. Il y avait en France, il y a un an, des hommes politiques qui combattaient l’alliance anglaise et d’autres qui la soutenaient. Les premiers aujourd’hui se targuent de prévoyance ; les derniers s’affligent et s’irritent d’avoir été trompés ;