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LITTÉRATURE ANGLAISE.

les priviléges de la pureté et de l’élévation ; mais l’absence de l’art, pouvoir solide qui concentre et qui règle, se fait bientôt regretter. Les œuvres de ces poètes auxquels appartenait le don de poésie, mais non sa couronne, ne se gravent pas, elles flottent ; la mollesse de contours, la diffusion des couleurs, l’incertitude des images, la finesse des analyses, la ténuité des rapports, fatiguent (si l’on me passe l’audace de ce terme en faveur de sa justesse) l’œil et l’oreille de l’intelligence. Bien des routes conduisent à ce résultat ; les écrivains que j’ai nommés, et auxquels j’aurais dû joindre Akenside, représentant de la même école au XVIIIe siècle, y sont parvenus, chacun selon le goût de son temps. Spencer procède par l’allégorie ; Cowley adopte le concetto italien ; Akenside suit les pas de Berkeley ; Shelley rédige en vers le néo-platonisme, et Tennyson essaie de versifier les systèmes de Hegel. Personne n’a mieux décrit cette inspiration mystique que Shelley, qui l’a toujours éprouvée. « Ce souffle divin, dit-il quelque part, m’emporta au-dessus des vagues lumineuses, et je fus soutenu par cette moelleuse nacelle, dont le duvet éthéré ne s’abîme sous aucune tempête. Et je planais comme plane un ange, dans les régions où s’écoule éternellement, sous la sérénité sublime, un esprit d’émotion profonde[1]. » On ne peut rien ajouter à la mélodie de ces vers dans l’original, à la richesse de leur expression, et même à la profondeur de leur sens ; l’ame s’abandonne un moment à ce prestige, émue et comme enchantée, mais bientôt elle cherche un point solide, une forme précise, un contour arrêté ; elle a peur de ce nuage qui l’environne, comme elle aurait peur de l’ivresse.

Nous préférons de beaucoup M. Milnes à M. Sterling. M. Milnes est parmi les jeunes poètes anglais celui dont l’inspiration est la plus décidée et la plus énergique. Sans compter la variété d’une érudition qui se révèle souvent, mais qui est ici de peu de valeur, l’originalité de ses impressions le détache de presque tous les versificateurs qui ont tenté la fortune poétique dans ces derniers temps. Son dernier volume, Poésie du Peuple (Poetry for the People), l’emporte de beaucoup en simplicité et en concision sur l’œuvre de son début (Poems of many years). On y reconnaît un effort habile et souvent très heureux pour ramener à une forme plus simple et plus populaire l’étude de l’émotion humaine, telle que Wordsworth l’a tentée

  1. It bore me, like an Angel, o’er the waves
    Of sunlight, whose swift pinnace of dewy air, etc.