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au milieu des sables mouvans ; c’est son plaisir de mettre le pied sur les roches aiguës des torrens, sans se laisser entraîner par le flot qui se précipite. Renversé dans le courant, il tient son fusil suspendu au-dessus de sa tête, pour que le plus grand des accidens, sa poudre mouillée, ne détruise pas toute l’espérance de sa journée. Je lui recommande de pratiquer cet exercice dans le Tilt, pendant vingt-quatre heures, par une bonne bise gaillarde, qui le rafraîchira et qui le mettra parfaitement au fait de la chose. Ce vent est défavorable à la chasse du cerf, et il est bon de ne pas perdre une heure dans le cours d’une éducation si difficile. Apprendre à nager serait peu digne d’un bon chasseur ; subterfuge misérable ! Se laisser noyer ne serait pas pardonnable ; le chasseur que j’élève m’est cher : son honneur m’intéresse ; et mourir, c’est être battu. »

Ceci est l’humour de M. Scrope.

Mais les bonnes anecdotes, les chaudes narrations, les descriptions exactes et animées abondent dans son livre. On se retrouve au milieu des forêts si bien peintes par Walter Scott, dont la poésie a peu de force lorsqu’il veut atteindre la tragédie et l’épopée ; mais qui, dans le domaine de ses halliers et de ses bois, n’a point d’égal en fraîcheur et en délicatesse. On voit passer à chaque instant ces troupes de daims sauvages qu’il aimait tant : vous les suivez du regard ; — « sortant de l’ombre des vieux sapins, troupe royale ; le beau cerf au port auguste, et la biche svelte, l’œil aux aguets, le nez au vent, respirant l’air sauvage. Près d’eux bondit sans défiance le fils du printemps et de leurs amours ; le petit daim délicat et joyeux, avec ses taches roses comme le ciel du matin, et folâtre même dans sa terreur[1]. » Tous les bruits, tous les évènemens, toutes les tragédies de la forêt, se retrouvent dans le récit de M. Scrope, ouvrage plus littéraire par sa vérité et sa verve qu’une foule de romans prétentieux et philosophiques.

Parmi les nouveaux poètes, je ne vois que M. Robert Monckton Milnes qui mérite une mention très brillante. Les Poèmes de M. John Sterling justifient mal, à notre sens, les éloges que les Revues anglaises lui prodiguent. Coleridge et Wordsworth ont déteint sur cette poésie dont la pâleur manque de vie, dont l’abondance manque de force, et qui atteint presque constamment la région moyenne de

  1. The spring-born offspring of their loves. —
    The delicate and playful fawn
    Dappled like the rosy dawn,
    And sportive in its fear
    .