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baille, ni Renard-le-Bétourné de Rutebœuf, ni le nouveau Renard de Jacquemard Gielée, ni le Couronnement du Renard de Marie de France, ne peuvent être regardés comme les originaux du poème hollandais. La première partie de ce poème est antérieure au plus ancien ouvrage français que nous connaissions sur ce sujet : celui de Perrot de Saint-Cloud. M. Willems a cherché à démontrer, et, ce nous semble, par de très bonnes raisons, qu’elle date de la seconde moitié du XIIe siècle. Tous les évènemens racontés par le poète se passent en Flandre, et quelques-uns dans des lieux dont on connaît très bien l’histoire. Le récit est beaucoup plus dramatique, plus serré, que celui de nos anciens poètes, beaucoup moins licencieux, et l’ouvrage entier est empreint, comme l’a dit Jacob Grimm, d’une couleur toute flamande. La première partie est celle où il y a le plus de faits et de mouvement. La seconde, qui est beaucoup moins ancienne, tombe un peu dans le domaine de la poésie moralisante et didactique. Mais c’est chose curieuse de voir où en était déjà le langage de la morale aux jours lointains du moyen-âge, et tout ce que l’on osait dire à une époque dont nous avons tant de peine à saisir le véritable caractère et que nous regardons tantôt avec enthousiasme comme l’âge d’or des vertus chevaleresques, tantôt avec horreur comme une ère de barbarie.

Comme ce poème est encore peu connu, peut-être nous saura-t-on gré d’en donner ici une analyse. Le premier livre commence par un de ces petits tableaux champêtres que les poètes du moyen-âge, et surtout les minnesingers amoureux de la nature, aimaient à entremêler à leurs récits. C’était un jour de Pentecôte ; les forêts et les champs étaient couverts de feuillage et de verdure ; une foule d’oiseaux chantaient gaiement dans les haies et dans les bois ; les plantes et les fleurs embaumées s’épanouissaient çà et là ; le ciel était bleu et clair. Noble, roi des animaux, avait fait proclamer partout qu’il tiendrait ce jour-là cour plénière. Tous les animaux se hâtent de s’y rendre. Renard seul se tient prudemment renfermé chez lui ; il a sur la conscience certains méfaits qui lui ont valu auprès du roi plus d’une mauvaise note, et il n’a garde de comparaître. À peine la cour est-elle réunie que de toutes parts des clameurs violentes s’élèvent contre le perfide habitant de Malpertuis. C’est d’abord le loup Jsengrim, qui s’avance devant le trône du souverain et raconte comment Renard lui a fait tant de mal, que, si tout le drap que l’on fabrique à Gand était transformé en parchemin, il ne suffirait pas pour raconter les trahisons de la méchante bête et les souffrances du