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LA HOLLANDE.

de l’Orient[1] ; Goethe lui a prêté le charme de ses beaux vers, et dans plusieurs de nos provinces, dans les plaines de l’Alsace, et dans les chalets de la Franche-Comté, je me rappelle bien avoir entendu conter plus d’une fois, par les bonnes gens du peuple, les méchans tours du renard et la grosse niaiserie de l’ours et du loup vorace, ses ennemis. Pour que rien ne manquât à la gloire de cette histoire populaire, elle est entourée de nuages comme les plus grandes gloires de ce monde. On ne sait d’où elle vient, quand elle est née, comment elle a grandi ; quatre à cinq pays se disputent son origine, comme les villes de la Grèce se sont disputé l’honneur d’avoir donné le jour à Homère, et les érudits en sont encore à demander si cette Iliade de l’Ulysse rusé des animaux a été enfantée par le génie d’un seul homme, si elle est venue au monde d’un seul jet, ou si elle a été peu à peu composée de divers épisodes par divers écrivains. Les uns, tels que M. Saint-Marc Girardin, qui a publié à ce sujet une éloquente dissertation, pensent que cette épopée cache sous son vêtement d’emprunt un fait historique ; d’autres la regardent tout simplement comme une spirituelle fiction. À Dieu ne plaise que nous osions, nous humble narrateur, tenter de résoudre une question qui n’a pas encore été résolue par des hommes comme MM. Jacob Grimm, Mone, Raynouard, Willems. Nous nous bornons à exposer les pièces de la plaidoirie. Les débats du procès sont assez amusans pour que le public ne soit pas pressé de le voir finir.

Dans le poème hollandais que nous connaissons maintenant en entier, grace à l’excellente édition qui en a été publiée par M. Willems[2], il y a bien çà et là quelques mots français qui pourraient faire douter de sa parfaite originalité. Le château du Renard s’appelle Malpertuis (Maupertuis, mauvais trou), le coq Canteclaer (Chante-Clair), le petit chien Courtois, l’ours Brun, le lièvre Cuwaert (Couard) ; et quand le Renard fait devant son oncle son hypocrite confession, il prononce le mot de plaisir, sur quoi l’oncle s’écrie : Pourquoi parler français ? parlez flamand, si vous voulez que je vous comprenne. Mais ce ne sont là que de légères couches d’un vernis étranger qui pouvaient bien provenir du contact perpétuel des Pays-Bas avec la France. Le fait est que ni les diverses branches du roman du Renard recueillies par Méon, ni le supplément publié par M. Cha-

  1. Dans un savant ouvrage sur le Renard, Grimm a démontré les rapports de cette tradition avec les fables orientales, grecques et latines.
  2. Reinaert de Vos episch fabeldicht van der twaelfde en dertiende eeuw, 1 vol. in-8o, Gand, 1836.