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formé de tuer l’empereur, et lui nomme les hommes choisis pour commettre ce régicide. Sa femme, à cet aveu, pousse un cri d’horreur, et Eggerich la frappe si rudement au visage, que le sang en jaillit jusque sur les mains d’Élegast.

Élegast sort, emportant la selle et l’épée du perfide Eggerich, puis il s’en va conter avec douleur à Charlemagne l’affreux secret qu’il vient d’entendre. — Allez trouver demain matin l’empereur, lui dit Charlemagne ; apprenez-lui ce que vous avez découvert ; il sera touché de votre fidélité, et, s’il en doutait encore, je serais là pour l’attester. — Élegast promet de suivre ce conseil, quoiqu’il redoute de braver la colère de son souverain et de reparaître devant lui. Charlemagne le quitte, rentre dans son palais, fait réveiller ses gens, ordonne qu’on range dans la grande salle une troupe de Vransoys et de Bollonoys. Vers le matin arrive Eggerich avec une suite nombreuse ; on l’arrête, on fouille l’un après l’autre chacun de ceux qui l’accompagnent, et on trouve sous leurs vêtemens des poignards et des hallebardes. Eggerich, accusé de trahison, cherche en vain à se disculper. Élegast paraît, le défie au combat, le terrasse, lui fend la tête. Les compagnons du traître sont mis à mort ; Élegast rentre en grace, et, pour prix de sa fidélité, épouse la veuve de celui dont il a découvert le complot.

Ainsi finit cette étrange histoire dont nulle traduction ne peut rendre le style naïf. La tradition populaire d’après laquelle le poème a été composé, est, à ce qu’il semble, très ancienne et a été répandue au loin, car on la retrouve en Danemark, et la bibliothèque d’Arras possède un manuscrit sur ce sujet. Quant à l’espèce d’épopée aventureuse que nous venons d’analyser, on ne la connaît que d’après deux exemplaires de deux éditions différentes dont l’un existe à la bibliothèque de La Haye, et l’autre à celle de Berlin. M. Hoffmann de Fallersleben l’a réimprimée récemment dans ses Horæ belgicæ.

Le second poème, dont les Hollandais prétendent avoir eux-mêmes inventé la forme et les principaux détails, est une charmante variante du roman du Renard, l’une des traditions les plus populaires du moyen-âge. Pas une contrée qui n’ait été occupée de cette tradition, pas une langue européenne dans laquelle elle n’ait été reproduite. Les trouvères de France et les scaldes du Nord l’ont racontée longuement[1] ; les savans en ont retrouvé les traces dans les fables

  1. Le roman du Renard a été réimprimé plusieurs fois en Suède et en Danemark ; il a été aussi traduit en islandais.