Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/433

Cette page a été validée par deux contributeurs.
429
LA HOLLANDE.

pèlerin, le marchand, mais il ne ménage ni les évêques, ni les chanoines, ni les abbés, ni le pape ; tout ce qu’il peut leur prendre, il le prend sans pitié.

Ainsi rêvant et soupirant, Charles s’avance dans la forêt, et tout à coup il aperçoit un chevalier couvert d’une armure noire, portant un casque noir et monté sur un cheval noir. Ce chevalier l’arrête et lui dit d’une voix impérieuse : Qui es-tu ? Où vas-tu ? Comment se nomme ton père ? — À ces mots Charlemagne reprend sa fierté d’empereur : — Jamais personne, s’écrie-t-il, ne m’a contraint de faire ce qui ne me plaisait point ! Je ne te dirai pas qui je suis, mais nous combattrons l’un contre l’autre, et le vainqueur dictera ses conditions au vaincu. — Le défi est accepté ; les deux champions font reculer leurs chevaux, puis fondent l’un sur l’autre avec impétuosité. Après une lutte violente, le chevalier noir est vaincu ; il avoue alors son nom et sa profession de voleur, c’est Élegast ; puis il invite son adversaire à montrer la même franchise, et l’empereur répond naïvement : — Moi ; j’ai coutume aussi de voler, je vole les églises et les cloîtres, les grands et les petits. Il n’est si pauvre homme au monde de qui je ne tire quelque chose, et dont je ne puisse prendre le bien plutôt que de lui donner le mien. Mais à présent, si vous m’en croyez, nous irons prendre le plus riche trésor qui existe. — Lequel ? demande Élegast. — Celui de l’empereur. — Non pas ! s’écrie le vertueux voleur ; quoique l’empereur m’ait enlevé ce que je possédais, quoiqu’il ait été injuste et cruel envers moi, je n’en suis pas moins son fidèle sujet, et j’aurais honte de lui nuire. Allons plutôt dans la demeure d’Eggerich, le beau-frère de Charles ; c’est un méchant homme qui a déjà commis de nombreuses trahisons et qui ne mérite pas de vivre ; nous pouvons sans scrupule lui enlever son trésor.

Charles accepte et suit son étrange compagnon, touché de sa fidélité de sujet et déplorant son sort de voleur. Ils arrivent au milieu de la nuit à la porte d’Eggerich ; Élegast place Charlemagne en sentinelle, et franchit l’enceinte de l’habitation. En passant, il arrache une plante qu’il porte à sa bouche, et c’est une de ces plantes merveilleuses qui font comprendre à l’homme le langage des animaux. Élegast entend les coqs qui crient, les chiens qui aboient et qui racontent, dans leur latin (dit le poète), que Charlemagne est à la porte. Il accourt tout effaré annoncer cette nouvelle à Charlemagne lui-même qui le raille de sa vaine frayeur. Élegast rentre dans la demeure qu’il veut piller, il pénètre jusque dans la chambre d’Eggerich, et il entend le chevalier félon qui dit à sa femme le projet qu’il a