Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/432

Cette page a été validée par deux contributeurs.
428
REVUE DES DEUX MONDES.

vivre dans l’une des grottes du Wunderberg, et Pétrarque, le doux et mélodieux Pétrarque, a employé deux pages de son élégant latin à écrire l’histoire de l’anneau merveilleux qui enchaînait Charlemagne près du cadavre d’une femme chérie. Mais jusqu’à présent, on ne nous avait pas dit que ce héros de tant de nobles épopées, ce chef des douze pairs, ce roi de la chevalerie, se fût fait voleur, et qui plus est, voleur de grands chemins. Or, voilà précisément ce que nous raconte le poète hollandais. Dès le premier vers, l’auteur dit que c’est une véritable histoire[1] ; ainsi, il ne s’agit pas de plaisanter.

C’est le soir : Charlemagne vient de s’endormir, quand tout à coup il est réveillé par la voix d’un ange, qui lui crie : Lève-toi, noble Charles, prends tes vêtemens, tes armes, et va-t-en voler cette nuit ; c’est Dieu qui te l’ordonne par ma bouche, et si tu ne m’obéis pas, tu es mort. — Tiens, dit l’empereur, quel étrange rêve je viens de faire ! — Et là-dessus, il se tourne de l’autre côté et se rendort de nouveau ; mais voilà que l’ange l’appelle une seconde fois, plus haut encore que la première, et lui ordonne impérieusement de se lever et d’aller voler. — Moi, voler ! répond le bon Charlemagne, mais il n’y a pas sur la terre un roi ou un comte plus riche que moi ; depuis Cologne jusqu’à Rome, tout appartient à l’empereur ; je règne sur les rives sauvages du Danube, sur la Galice et sur l’Espagne. Qu’ai-je donc fait, malheureux homme que je suis, pour que Dieu me commande de voler ?

Là-dessus, il essaie encore de fermer les yeux, mais l’ange qui veut remplir sa mission ne le quitte pas, et insiste si vivement, qu’à la fin Charles désespéré s’écrie : Eh bien ! soit ; je suivrai l’ordre de Dieu et je me ferai voleur, dussé-je être pendu par la gorge[2] ! Il se lève, s’habille, prend ses armes qui étaient toujours posées près de son lit, passe au milieu de ses gens qui dorment d’un profond sommeil, descend à l’écurie, selle son cheval et se dirige vers la forêt, la tête baissée, le cœur désolé de l’ordre fatal auquel il doit obéir. Chemin faisant, il se rappelle qu’il a banni de sa présence, pour une faute de peu d’importance, le chevalier Élegast, et s’apitoie sur son sort. Élegast attend les passans sur la grande route, et respecte le

  1. Een vraie historie ende al waer
    Mach ic u tellen
    .

    Et plus loin :

    Hoort hier wonder ende waerhede.

  2. Al soud ic hanghen bi der kele.