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que je l’aurais voulu pour châtier ce manant. Vive Dieu ! je le ferai mourir sous les coups de bâton.

Crespo. — Je crains bien qu’en revenant, vous n’ayez perdu votre peine, et qu’il ne veuille pas les recevoir.

Don Lope. — Je me passerai de sa permission.

Crespo. — Cela ira mal, on vous a mal conseillé, c’est moi qui vous le dis. Savez-vous pour quel motif il a fait arrêter le capitaine ?

Don Lope. — Non, mais quel que soit ce motif, c’était à moi qu’il fallait demander justice ; j’aurais très bien su, s’il l’avait fallu, lui faire couper le cou.

Crespo. — Vous ne savez pas apparemment, monseigneur, quelles sont les attributions d’un alcade ordinaire ?

Don Lope. — Peut-il, après tout, être autre chose qu’un manant ?

Crespo. — Un manant qui, s’il s’est mis dans la tête de faire étrangler le capitaine, en viendra à ses fins.

Don Lope. — Non, par Dieu ! il n’en viendra pas à ses fins, et, si vous êtes curieux d’en avoir la preuve, dites-moi où il habite ?

Crespo. — Bien près d’ici.

Don Lope. — Dites-moi donc quel est cet alcade ?

Crespo. — Moi.

Don Lope. — Vive Dieu ! je suis tenté de le croire.

Crespo. — Tenez-le pour certain.

Don Lope. — Eh bien ! Crespo, ce que j’ai dit est dit.

Crespo. — Eh bien ! don Lope, ce que j’ai fait est fait.

Don Lope. — Je suis venu chercher le prisonnier et faire bonne justice de ce qui s’est passé.

Crespo. — Je le garde en prison ici, pour un fait qui s’est passé ici.

Don Lope. — Savez-vous qu’il est au service du roi, et que je suis son juge ?

Crespo. — Savez-vous qu’il m’a enlevé ma fille ?

Don Lope. — Savez-vous que c’est à moi qu’il appartient de juger cette affaire ?

Crespo. — Savez-vous qu’il a eu l’audace de me ravir l’honneur ?

Don Lope. — Savez-vous combien l’emploi que j’exerce m’élève au-dessus de vous ?

Crespo. — Savez-vous que je lui ai offert la paix, et qu’il ne la veut pas ?

Don Lope. — Vous empiétez sur une autre juridiction.

Crespo. — Il a empiété sur mon honneur, qui n’est pas soumis à la sienne.

Don Lope. — Je m’engage à vous donner satisfaction.

Crespo. — Je n’ai jamais demandé à un autre ce que je pouvais me procurer moi-même.

Don Lope. — Enfin, j’y suis décidé, j’emmènerai le prisonnier.

Crespo. — Je lui ai déjà fait son procès.

Don Lope. — Je vais le chercher à la prison.