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DOCUMENS INÉDITS SUR MARIE STUART.

mots : Farewell, gentyll Henry, and vengeance to Mary ! « Adieu, doux Henri, et vengeance contre Marie ! » Elle monte à cheval, et traverse la place du marché. Les femmes se lèvent, en criant : « Dieu sauve votre grace, si elle n’a pas trempé (if you be sakeless) dans la mort du roi[1] ! » Le père de Henri réclame l’enquête et accuse Bothwell de meurtre. Dans les rues, à minuit, des voix menaçantes s’élèvent en chœur et demandent justice. Élisabeth renvoie à la reine son serviteur Lutini, que cette dernière fait examiner par Bothwell, et qui, au lieu d’un châtiment, reçoit une gratification pécuniaire. Tout le soin du gouvernement est remis à Bothwell, qui, quinze jours après le meurtre, passe toutes ses journées avec la reine. La cour habite Seton et reprend ses amusemens ordinaires. On arrange des parties d’arbalète ; Marie et Bothwell jouent contre Seton et Huntley. L’enjeu est un repas que Seton et Huntley perdent. Ils paient la partie, et le repas est mêlé de musique et de chants. Knox prend alors la fuite, et un grand mouvement d’horreur se répand dans la bourgeoisie. Les Guises même et Catherine de Médicis blâment, non le meurtre, mais l’éclat du meurtre. De toutes parts on écrit à Marie, d’Angleterre, d’Italie et de France, que ce crime est exécrable, qu’elle ne doit pas tarder à le punir, que l’Europe a horreur de cet assassinat prémédité, et qu’on a les yeux sur elle. Enivrée de son amour pour Bothwell, amour qui dès ce moment n’est plus l’objet d’un doute, elle le comble de faveurs, tout en le livrant à un tribunal par une vaine comédie, simulacre de jugement qui ne trompe personne. « Révélez et vengez ! » crie Jean Knox aux citoyens, du haut de sa chaire, avant de s’enfuir et de se retirer dans les bois. Reveal and revenge ! Je n’emprunte point ces détails à Buchanan, à Knox, aux calvinistes, aux diffamateurs de la reine, aux lettres extraites de la fatale cassette ; lettres arguées de faux par ses défenseurs, bien qu’elle ne les ait jamais récusées pendant les dix-huit ans de sa prison et de son procès. Je les puise dans la correspondance de ses amis et de ses serviteurs. La malédiction universelle et l’anathème du pays s’élevaient contre cette dissimulation lente et implacable, ce mélange d’adultère et de meurtre, ce crime habile du Midi, forfait préparé avec un art profond, exécuté avec amour, vengeant le crime brutal du Nord, le meurtre sauvage de Riccio. Mais plus d’une tache de sang et de perfidie marquera encore la lutte des deux civilisa-

  1. Drury à Cecil, 28 février 1567.