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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

mauvais se résumèrent dans une protestation à la chambre des députés, pièce étrange dont nous rougissons pour nos compatriotes, à cause du motif qui l’a dictée. Le gouvernement de Montevideo envoya officiellement des commissaires à l’amiral pour désavouer toute participation de sa part à cet acte inqualifiable, que les Français de Buéno-Ayres désapprouvèrent aussi en votant au plénipotentiaire une adresse de remerciemens.

Nous ne peindrons pas la joie et les acclamations par lesquelles l’amiral fut accueilli à Buénos-Ayres. Il y resta dix-sept jours, rassurant les esprits, consolidant son œuvre, protégeant tous les intérêts et toutes les infortunes. Sa parole était toute-puissante auprès du général Rosas, et il lui apprit à se montrer clément envers ses ennemis ; à sa demande, près de sept cents détenus politiques furent mis en liberté. À l’heure où nous écrivons, Buénos-Ayres n’est plus cette morne cité que trois ans d’un régime de sombre terreur avaient désolée. La vie lui est revenue avec le commerce ; les fêtes si long-temps sus-

    pièces officielles, tout est mis en usage pour soulever notre indignation contre la majorité populaire qui leur ferme les portes de leur pays. Telle est l’exaltation des esprits, que nous avons entre les mains une collection d’actes prétendus officiels, et que le gouvernement a déclarés mensongers. Malheureusement il se trouve à Paris même des hommes intéressés à propager ces erreurs, car nos sympathies pour les proscrits de Buénos-Ayres ne se sont pas bornées à de simples vœux. Nous avons jeté l’argent à pleines mains : le chiffre seul des dépenses secrètes de notre agent s’élève à 2,700,000 fr. ; et si l’on savait quels hommes cet or a pensionnés ! La folie de ce gaspillage a mérité dans le pays à l’argent de la France le nom d’argent niais. Si nous ajoutons à cette somme les armes, les munitions, les vivres, gratuitement donnés à la prétendue armée libératrice, et les frais de nos expéditions dans la Plata, nous serons forcés d’avouer que nous avons dépensé follement près de 14 millions à soutenir une rêverie. L’amiral de Mackau a rendu un grand service à la France en mettant fin à une duperie si long-temps prolongée. Les proscrits argentins, les contrebandiers, les loups-cerviers qui achetaient nos prises au quart de leur valeur, les fournisseurs qui réalisaient de gros bénéfices, effrayés de voir tout à coup se tarir pour eux les sources de notre budget, se sont ligués contre l’amiral de Mackau ; il ne faut pas s’en étonner : sur le point de quitter Cherbourg, l’amiral Baudin avait prédit à son gouvernement cette opposition des intérêts privés. C’est toujours sur l’ignorance publique qu’ils spéculent. Leur plan de campagne convenu est de représenter le traité comme nul, parce que quelques provinces du nord (le Tucuman, toujours si jaloux de son indépendance absolue, Santiago et Salta, où son influence domine ; enfin l’insignifiant état de la Rioja, qui n’a que 14,000 habitans), avec lesquelles nous n’avons ni ne pouvons avoir aucuns rapports directs, protestent contre Rosas. Faut-il répéter que jamais la confédération n’a réellement embrassé les treize provinces argentines ? Autant vaudrait dire que les traités faits par la France pendant le soulèvement de la Vendée sont frappés de nullité. Nous espérons que la chambre des députés ne croira pas que, déserté par les cinq ou six mille marins que nous avions dans la Plata, l’honneur national se soit vu réduit à chercher un refuge chez la classe d’hommes qui prétendent représenter le nom français à Montevideo.