Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/372

Cette page a été validée par deux contributeurs.
368
REVUE DES DEUX MONDES.

du peuple ; mais, en ce moment où il n’a pas assez de toutes ses forces pour lutter contre la France et la coalition que les unitaires ont soulevée contre lui, il est souvent obligé de fermer les yeux : cette Société populaire est une bête féroce qu’il caresse parce qu’il ne peut encore l’étouffer.

« On vous a trompés, ajoutaient-ils, quand on vous a fait associer les armes de la France à la cause des exilés argentins ; ces hommes ne sont pas seulement proscrits par l’autorité, ils sont les réprouvés de la nation. — Eh bien ! qu’eussiez-vous obtenu par la guerre ? Buénos-Ayres était à vous, nous vous l’abandonnions, car la valeur française nous est connue ; nous savions que nous étions impuissans contre vos moyens d’attaque, le général avait déjà quitté la ville ; à moins de délire, vous ne vous seriez pas aventurés dans nos plaines. Quant à Lavalle, nous rougirions de mettre son nom à côté de celui de la France (et un geste de mépris accompagnait ces mots). La paix est, en cette occasion, un acte d’humanité aussi bien que de politique ; le général Rosas en a besoin pour mettre un frein aux fureurs populaires ; désormais le commerce emploiera ces hommes qui ne songent aujourd’hui qu’à troubler le repos public. Pour donner un démenti formel aux calomnies dont on essaie de le flétrir, le général Rosas, quand il aura rétabli l’action des lois, se constituera lui-même l’ambassadeur de son propre gouvernement, et ira en France signer avec votre roi un traité d’amitié, de commerce et de navigation entre votre pays et le nôtre. »

Que répondre à ce langage, à ces désaveux formels de toute solidarité avec la société si cruellement stigmatisée sous le nom d’Outre-Potence ? Il ne restait plus qu’à déplorer les maux que les révolutions et la guerre civile ont appelés sur ce malheureux pays. C’est au gouvernement de faire connaître les paroles de M. Arana, les promesses par lesquelles notre plénipotentiaire, pleinement rassuré, n’hésita plus à signer la convention de paix. Pendant tout le cours des négociations, rien n’avait transpiré : l’amiral et sa suite répugnaient à cette politique des rues si long-temps suivie, et dont nous avons décrit les déplorables résultats. À la nouvelle du traité, il y eut à Montevideo un déchaînement des plus ignobles passions ; les agens consulaires, dont cet acte condamnait toute la conduite, les accapareurs, les gens qui pendant le blocus s’étaient enrichis des dépouilles de Buénos-Ayres, tous les intérêts sordides s’unirent pour protester contre le traité, avant même d’en connaître la teneur ; les proscrits argentins poussèrent des cris de délire[1]. Tous ces sentimens

  1. Quelques journaux se sont constitués les échos de la presse que les proscrits argentins dirigent à Montevideo : ils donnent cours aux bruits les plus absurdes sur les derniers évènemens de la Plata. Qu’on le sache bien : les exilés argentins à Montevideo sont, à l’égard de Buénos-Ayres, exactement ce qu’étaient à Coblentz ou ailleurs les émigrés français à l’égard de la France républicaine et de la France impériale. Ils s’efforcent de représenter comme une monstruosité sociale l’état actuel du pays qui les repousse de son sein. Ils exploitent avec un art infini l’ignorance où nous sommes généralement en France de ces contrées lointaines, pour accréditer parmi nous des fables atroces et ridicules. Lettres forgées, faits supposés, fausses