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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

extrait des registres de la paroisse, constatant que don Juan Pedro Varangot était né à Saint-Sébastien dans le Guipuscoa, qu’il était venu dans la Plata comme patron de barque avant la déclaration de l’indépendance, et qu’en 1811 il s’était fait naturaliser Argentin, afin de se marier avec une femme blanche du pays. Mais cette déclaration ne suffisait pas à l’amiral : allait-il apposer sa signature à côté de celle d’un chef d’assassins ? Il fallait une explication sur cette redoutable Société populaire, sur ces outre-potenciers, comme on dit à Montevideo. Ici, nous le sentons, toutes nos paroles sont brûlantes ; mais, puisque les aides-de-camp du gouverneur Rosas et les Argentins à la suite du ministre Arana, pressés par les aides-de-camp de l’amiral de Mackau, ont éclaté comme les échos de leur maître injustement accusé, le public français est intéressé à savoir ce qui a percé dans l’escadre de ces révélations qui ont rassuré nos officiers sur le traité qu’on signait. C’est au milieu des troubles civils que s’est formée la Société populaire ; elle s’organisa dans les rangs du peuple et soutint Rosas absent ; elle s’inspira d’une haine instinctive contre les unitaires[1], et se proposa toujours comme but avoué le maintien du général à la tête des affaires. « La guerre que les unitaires font au général Rosas, disaient à nos officiers les partisans du gouverneur, est odieuse, car ils ne reculent devant aucune calomnie, devant aucun moyen infâme, pour le perdre ; ils soulèveraient, s’ils le pouvaient, l’univers entier contre lui, et lui feraient refuser jusqu’à la qualité d’homme. Eh bien ! à son tour le général prononce au nom du peuple anathème sur les unitaires : entre ces hommes et la masse de la nation argentine, l’antipathie est profonde ; qu’ils soient rejetés à jamais du sol de ta patrie ! S’ils osaient y rentrer, la terre les dévorerait. Le peuple, dans ses vengeances, ne procède pas toujours par la voie de l’équité ; cette Société populaire, recrutée dans les rangs infimes de la population, se souille quelquefois d’actes criminels. La partie éclairée de la nation en gémit : aucun homme, parmi ceux qui appartiennent aux classes élevées ou respectables, ne fait partie de cette association, tous n’en parlent qu’avec un certain effroi ; mais il y aurait danger de mort à exprimer trop hautement sa réprobation, car cette société est puissante dans le peuple, qui partage sa haine patriotique contre les unitaires : malheur à qui oserait provoquer ses chefs, car ils ont de terribles moyens de vengeance !

« Pour ces hommes, une seule autorité reste encore respectable, c’est celle du gouverneur : idole des gens de la campagne, cher au peuple qui l’a vu naître et grandir dans son sein, maître de l’armée qu’il a su habilement s’attacher, on sent qu’en sa main réside le suprême pouvoir, et nul ne s’attaque à cet homme énergique, qui briserait son ennemi. Et c’est le sentiment de cette énergie, de cette force, qui rallie à lui tout ce qu’il y a de citoyens dévoués à leur pays, car lui seul peut encore rétablir l’ordre ; il n’y a d’espoir qu’en lui. Il réprouve la cruauté de ces démagogues forcenés qui déshonorent la cause

  1. Le parti des unitaires n’existe plus, mais le nom est resté à tous les ennemis de Rosas.