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française, et dont on racontait des détails affreux, n’étaient que des contes inventés à plaisir !

Où donc était Lavalle ? Il avait disparu de la plaine de Buénos-Ayres, et nul ne pouvait dire où il s’était réfugié. D’ailleurs on sait assez ce que nous avions à espérer d’un pareil auxiliaire : Lavalle tremblait devant Rosas. Quant au président Rivera, il ne nous était aussi que trop connu. Il y avait assez long-temps qu’on se jouait de nous. Désormais c’était en nous-mêmes qu’il fallait chercher nos ressources : la France ne devait plus agir que par elle seule et pour elle-même. Fallait-il faire la guerre ? Avec quoi ? L’amiral n’avait que cinq cents hommes d’infanterie. Rosas, d’ailleurs, protestait de son désir sincère de traiter, affirmant que le caractère des hommes qu’on lui avait envoyés jusqu’alors avait seul entretenu la discorde.

L’amiral penchait pour la guerre ; deux sentimens l’y poussaient : le premier reposait sur les sympathies que lui inspiraient les proscrits argentins ; le second, sur le désir d’attacher son nom à quelque grand exploit de la marine, et il ne manquait pas autour de lui de gens animés du même esprit. Mais il représentait avant tout la France. Qu’avait la France à gagner par la guerre ? Sur un petit mamelon à portée du canon de la ville, vers le nord, est situé l’ancien couvent de la Recoleta, aujourd’hui abandonné ; nous pouvions le prendre, presque sans coup férir : il n’était pas plus difficile de nous établir au sud d’une manière analogue. Fallait-il le faire, et de là bombarder Buénos-Ayres sans défense, sans murailles et délaissée par Rosas ? Prendre la forteresse qui domine la rade n’était pour nous sans doute que l’affaire d’un coup de main ; mais qu’en eussions-nous fait ? Les malheureuses expéditions des Anglais nous ont assez révélé l’impuissance de cette position contre la ville ; il aurait donc fallu la démanteler. Bloquer la ville par des batteries élevées sur son contour, comme autant de forts détachés, dont les feux croisés eussent balayé tous les passages, n’était pas une chose praticable, car la ville ne s’arrête pas là où finissent ses maisons ; elle se prolonge au loin dans la plaine par ses jardins, par ses habitations de plaisance, par ses vergers entourés de murs et de haies. Rosas restait maître absolu de la campagne. Lavalle n’était rien ou avait déserté notre cause. Devions-nous improviser dans la ville un gouvernement qui signât avec nous un simulacre de traité que Rosas eût biffé ?

Ainsi, en adoptant la guerre, l’amiral se trouvait dans l’alternative de jouer un rôle ridicule avec les faibles moyens dont il disposait, ou de forcer son pays à lui envoyer dix mille hommes et 20 millions pour n’obtenir rien de plus que par la voie de la paix ; car Rosas proposait la paix, et tout prouvait qu’il parlait sincèrement et qu’il était las du blocus ; quoique trop faibles pour la conquête, nous étions assez forts pour lui créer de graves embarras.

Le gouvernement de Montevideo prétendit au droit de se faire représenter dans la discussion du traité. Le plénipotentiaire repoussa net cette prétention. La France, il est vrai, s’était laissé escamoter de l’argent par Rivera dans un pacte passé sous des noms supposés, mais jamais elle n’avait engagé sa liberté d’action. Rivera ne réclama point contre cette décision. L’amiral parut devant