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accourut sur la province de Cordova, et, combinant son armée avec une armée expéditionnaire de Rosas, son allié, il opéra un mouvement de front, pénétra dans la contrée de l’est à l’ouest et l’envahit à la tête de cinq mille hommes, tandis que Quiroga attaquait par le sud. Paz se défendit habilement, mais la fortune lui fut contraire ; il tomba aux mains de Lopez, qui cependant épargna sa vie. À l’intérieur, le gouverneur Rosas étendit les ramifications de sa police de manière à embrasser tout le pays d’un réseau d’agens dévoués à sa personne. Il augmenta le nombre des juges de paix en circonscrivant l’étendue de leur juridiction, il multiplia les commissaires de police, nomma des hommes de son choix aux places d’alcades et d’adjoints, de sorte qu’on ne trouverait pas aujourd’hui une réunion de trois cabanes où il n’ait un homme à lui. La cavalerie composait cinq régimens de milice, un régiment par chaque division de la campagne. De ces cinq divisions primitives il en fit douze, et accrut de même le nombre des régimens. Or, chacun de ces corps a un état-major et un bataillon de troupes de ligne dans ses rangs caserné dans le district ; par cette seule mesure, il tripla le nombre des employés et des agens dont la nomination lui est réservée. Enfin, il couvrit de sa protection les hommes les plus influens qui pendant les guerres civiles s’étaient enrichis aux dépens des unitaires par le vol des bestiaux et par d’autres dilapidations, et ces hommes qu’il maintint au-dessus de la loi lui restèrent fortement attachés par le lien de l’intérêt.

À son entrée en fonctions, il s’était fait donner des pouvoirs extraordinaires afin de parer aux circonstances difficiles où il se trouvait. Don Tomas Anchorena, son premier ministre en 1832, et qui l’a toujours soutenu dans sa carrière, l’aida puissamment en faisant voter une loi de surveillance et d’épuration contre les unitaires. On déclara conspirateurs contre l’ordre public et passibles de la peine capitale tous ceux dont les opinions politiques seraient contraires aux principes du gouvernement. Une rétractation publique et éclatante pouvait seule sauver du péril les partisans connus de l’opinion proscrite. Rosas ne cachait plus la haine profonde qu’il avait vouée aux unitaires ; entre eux et lui désormais c’était une guerre à mort.

Suffisamment affermi, il crut pouvoir sans danger déposer les insignes de la puissance et attacher à son nom un reflet de gloire guerrière. Les Indiens insoumis du sud avaient fait depuis quelque temps des incursions qu’on n’avait pas repoussées : un grand nombre de familles avaient été enlevées et traînées en esclavage par ces barbares ; c’était un acte de patriotisme que d’essayer de les leur arracher. Rosas se mit à la tête de quatre mille hommes et poussa sa course jusque dans la Patagonie. Le général don Juan Ramon Balcarce avait été nommé gouverneur. Balcarce appartenait au parti fédéral ennemi des unitaires, mais il ne partageait pas les principes exagérés de Rosas. Il était loin d’approuver l’application de la loi si foudroyante de surveillance et d’épuration dont Anchorena était l’auteur. Aussi à peine l’ex-gouverneur eut-il quitté la ville pour s’enfoncer dans les déserts, où pendant quelque temps il sembla perdu, que la terrible loi fut rappelée. Alors s’éleva une querelle