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disaient-ils, fasse seulement une démonstration hostile sur la ville, et toute la province se lève en masse, et le tyran tombe ! » Si nous en disions davantage, nous ne ferions que nous répéter. Le chargé d’affaires se fit le coryphée de cette opinion, invariable refrain d’une prophétie toujours démentie : il provoqua le contre-amiral Dupotet à une démarche qui eût forcément engagé la France à poursuivre le renversement de Rosas. Le contre-amiral refusa net, et les clameurs redoublèrent contre lui

Tâchons de nous tenir en dehors de toutes ces passions ardentes. Sans doute, elle doit toucher tous les cœurs, la cause de ces malheureux proscrits ; mais, dans une circonstance où il s’agissait de nous jeter dans une lutte de partis qui faisait de la France le brandon d’interminables discordes civiles, il est permis de se demander si des désirs et des espérances chimériques n’obscurcissaient pas la raison. Écartons les déclamations vagues et furibondes. Certes, s’il était un homme intéressé à donner de sa cause et de ses ressources une haute idée, c’était le général Lavalle. Eh bien ! invoquons la parole même du général Lavalle.

Il n’était plus qu’à quelques lieues de son ennemi et à la tête de toutes ses troupes réunies, quand il apprit l’arrivée prochaine de l’amiral Baudin avec deux ou trois mille hommes. Que résoudre ? « Rosas a une infanterie quadruple de la mienne, écrivit-il, et le double ou le triple d’artillerie ; si l’évènement ne répondait pas aux espérances de tous et aux miennes, mon nom serait maudit pour n’avoir pas attendu la jonction des troupes françaises. J’établis deux hypothèses : dans la première, l’amiral Baudin ne peut mettre son infanterie sous mes ordres, et voudra la faire opérer séparément. En ce cas, elle ne pourrait agir efficacement que dans la capitale même, dont elle pourrait s’emparer à l’aide des Français qui y sont établis et de l’armée libératrice, qui s’en rapprocherait ; l’occupation même d’un quartier serait suffisante. Mais vous ne méconnaîtrez point les inconvéniens de ce plan, dont le plus grave est que, pour que les troupes françaises pussent compter sur la coopération de l’armée libératrice, il faudrait que celle-ci se fût d’abord mise à portée de l’armée de Rosas, avec laquelle une bataille, où elle ne serait pas immédiatement secondée par les Français, serait inévitable. L’armée libératrice et la colonne française ne se prêteraient donc un mutuel secours qu’en ce qu’elles multiplieraient les embarras de Rosas. Vous conviendrez donc que tout l’avantage est du côté de la seconde hypothèse, c’est-à-dire l’incorporation des troupes françaises dans l’armée libératrice… » Mettre nos soldats et nos marins sous les ordres du général Lavalle ! À cette proposition, qu’eût répondu le commandant en chef de ces fiers officiers de marine, dont le moins élevé se croyait bien au-dessus du général Lavalle et de toute son armée ?

Ainsi, dans l’opinion du général Lavalle, tout ce que nous avions obtenu après deux ans de blocus, avec les millions distribués pour soulever une armée révolutionnaire, tout ce que nous pouvions espérer de la grande expédition française, c’était de multiplier les embarras de Rosas ! Cette lettre de Lavalle