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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

décident à l’occuper militairement, qu’ils y fondent des lois libérales et bientôt tous les habitans se prononceront en leur faveur, et l’on verra les populations les saluer comme leurs libérateurs ! » Malheur à quiconque eût osé alors révoquer en doute ces dispositions favorables, moins encore laisser percer le soupçon de la haine qu’inspirait le nom anglais !

On se trompe toujours quand on base de grandes entreprises sur les affections populaires d’une nation pour l’étranger ; l’Angleterre en fit là une sanglante expérience. Après le premier moment de stupeur qu’avait causé l’audace du général Beresford, les habitans de Buénos-Ayres comptèrent leurs ennemis. Il était honteux vraiment qu’une ville de soixante mille ames se fût laissée surprendre par quinze cents hommes. Un Français, le colonel Liniers, rallia autour de lui quelques milices du pays et une poignée de soldats. La forteresse est dominée par les maisons voisines ; il mit à profit cette circonstance, il embusqua ses hommes sur les terrasses, et Beresford et sa troupe furent contraints de se rendre, car Liniers les tenait acculés dans le fort même, où toute défense était impossible, et d’où ils ne pouvaient s’échapper.

Une seconde expédition arriva en 1807 ; elle était considérable ; on y comptait près de douze mille hommes des meilleures troupes de la Grande-Bretagne ; un nombreux convoi de marchands, d’artisans, enfin une colonie entière la suivait ; le général Whitelocke la commandait. Rien n’y manquait pour fonder d’une manière stable la domination anglaise. Il y avait beaucoup de sagesse dans les principes politiques dont l’application était surtout recommandée au général en chef. Il devait 1o se concilier le bon vouloir des habitans en ne choquant ni leurs opinions religieuses ni leurs préjugés relativement aux personnes et aux propriétés, et en s’abstenant de leur imposer aucune gêne nouvelle ; 2o en ce qui regardait le commerce, respecter autant que possible les droits, les priviléges et les usages établis, et ne changer que ce qui serait absolument nécessaire pour que l’autorité de sa majesté britannique fût substituée pleinement à celle du roi d’Espagne ; 3o donner des emplois aux habitans du pays de préférence.

Tout d’abord Whitelocke éprouva un vif désappointement : au lieu de l’appui qu’il espérait trouver dans les habitans, il ne vit que défiance et hostilité. Il ne put se procurer un corps de cavalerie auxiliaire, et même pour ses transports les chevaux lui manquèrent. L’occupation de Buénos-Ayres lui paraissait forcément le premier acte de la conquête. Il prépara son débarquement, mais il ne voulut l’opérer que sous la protection des canons de ses navires. Les renseignemens qu’il avait sur la navigation de la rivière étaient mauvais ; au lieu de prendre terre au nord, il se crut obligé de le faire à trente milles environ dans le sud-est de la ville, au fond de la Ensenada de Barragan : il réunit sur ce point près de huit mille hommes et dix-huit pièces d’artillerie de campagne. C’était au mois de juin, pendant la saison des pluies. De là jusqu’à Buénos-Ayres le terrain est marécageux et entrecoupé de ruisseaux. Il franchit tous les obstacles. Son premier plan d’attaque était bon : il voulait s’emparer du couvent de la Recoleta, situé sur une élévation immé-