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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

comme un cavalier gaucho, et des centaines d’oiseaux rares, des myriades d’insectes curieux, les remplissaient de vives émotions ; ils se laissaient éprendre aux séductions de la vie sauvage. Alors vraiment notre blocus ferma presque hermétiquement la côte argentine ; il fut effectif.

Malheureusement il survint dans nos affaires même une nouvelle complication : la discorde éclata entre notre agent diplomatique et le chef de la division navale. À l’arrivée de l’amiral Dupotet, le bruit s’était répandu que la France envoyait un nouvel agent muni de pleins pouvoirs pour arranger le différend. Sur cette simple nouvelle, le général Rosas et son gouvernement s’empressèrent de donner l’assurance que désormais on pouvait compter sur la paix, puisque M. Buchet-Martigny, l’auteur ou du moins le fauteur de la querelle, l’ennemi irréconciliable de la république, était enfin rappelé. Mais toutes ces espérances furent vaines ; l’amiral Dupotet n’avait aucune mission pour traiter. Cependant le ministre de sa majesté britannique à Buénos-Ayres, M. Mandeville, lui fit secrètement des ouvertures d’accommodement ; il les écouta, et se rendit devant la ville, sous le prétexte de visiter les divers navires du blocus. On arrangea une entrevue entre l’amiral et le ministre des relations extérieures, don Felipe Arana ; cette entrevue eut lieu comme par hasard à bord de la corvette anglaise l’Action. Un dîner donné par le capitaine devait couvrir le mystère. Le ministre argentin remit au contre-amiral français des propositions que celui-ci se chargea seulement de transmettre au chargé d’affaires. Tout à coup, à Montevideo, parmi les proscrits argentins et les ennemis les plus acharnés du général Rosas, on publia que le contre-amiral Dupotet, au mépris des pouvoirs conférés à notre chargé d’affaires, avait engagé la France dans l’acceptation de conditions humiliantes. L’affaire n’eut que trop de retentissement en France, où les journaux s’en saisirent. Les reproches qu’on adressait à l’amiral avaient un singulier caractère d’acharnement. — Il souillait, disait-on, l’honneur national ; il livrait traîtreusement au poignard de leur féroce ennemi les hommes que nous avions nous-mêmes soulevés et armés ; il justifiait la conduite de Rivera, qui ne faisait que nous rendre mauvaise foi pour mauvaise foi ; enfin, par une malencontreuse occurrence, il détruisait (au moins s’efforçait-on de le faire croire) l’effet de deux années de blocus, car cette fatale conférence de l’Action avait lieu à l’époque où allait expirer la présidence du général Rosas, et ce chef odieux se prévalait de l’espoir d’une paix prochaine pour rallier à lui les esprits et concentrer encore sur sa personne tous les vœux du peuple.

L’aigreur et la violence de ces accusations en font assez ressortir l’injustice. Il faut toujours se tenir en garde contre ces renseignemens lointains apportés par de prétendues correspondances de commerce. Restons dans le vrai. Qu’avait donc fait le contre-amiral Dupotet ? D’abord il avait pleinement adopté le système tracé par le chargé d’affaires, et n’avait rien négligé pour le faire réussir ; mais quand il eut reconnu sur quels élémens on s’appuyait, qu’il trouva la défiance partout, qu’il vit nos associés dans cette entreprise se renvoyer publiquement la haine et le mépris, il douta de l’excellence du plan