Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/333

Cette page a été validée par deux contributeurs.
329
AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

recevoir ma foi politique. Je n’apporte avec moi aucun souvenir : j’ai répudié toutes mes traditions. Un triple vœu forme ma devise : La nation ! la liberté ! guerre au tyran Rosas ! »

La légion libératrice s’avança vers le nord. Deux raisons la déterminaient à choisir d’abord cette direction : elle longeait les rives du fleuve, conservant ainsi des communications faciles avec nos navires, et en même temps elle se rapprochait de la province de Corrientes, dont on avait appris le soulèvement, et qui lui offrait ou des renforts ou un refuge, selon que la fortune lui serait favorable ou contraire. Sa marche n’avait rien de précipité ; le général voulait ménager les chevaux. Cependant, derrière elle, se formait un orage : don Vicente Zapata, gouverneur délégué de l’état, la suivait pas à pas, à la tête de quinze à seize cents cavaliers ramassés à la hâte parmi les milices du pays. Le 22, au point du jour, près d’Yerua, il apparut menaçant l’arrière-garde ; heureusement un ravin arrêta la charge et donna le temps aux soldats de Lavalle de monter sur leurs chevaux de bataille et de fondre à leur tour sur l’ennemi, qu’ils mirent en complète déroute.

Ce succès, par lequel Lavalle ouvrait la campagne, exalta ses partisans à Montevideo et nous éblouit. Hélas ! comment, au milieu de l’enivrement causé par cette nouvelle, ne s’éleva-t-il pas dans le conseil de nos agens une voix qui leur dit : — Ce général Lavalle sur lequel vous fondez votre avenir est sans doute un vaillant officier ; il n’en est pas à faire ses preuves de bravoure ; ne l’a-t-il pas montrée dans vingt combats ? Mais comme chef de parti, comme promoteur d’une révolution, quelle est sa valeur ? S’est-il même levé spontanément entraîné par la force des choses et l’appel de la nécessité ? Non, c’est vous qui l’avez armé de toutes pièces : les hommes qui le suivent, c’est vous qui les soldez ; ses armes, vous les avez fournies, et votre or a payé les chevaux de son armée. À quel caractère pouvez-vous donc vous flatter qu’il soit l’élu du peuple ? Trouve-t-il des sympathies vives dans le pays où il est entré ? Aucune. Partout il rencontre des visages hostiles, et il s’estime heureux quand les habitans ne s’arment pas contre lui.

Don Pascal Echague, gouverneur de l’Entre-Rios, s’avançait dans l’état oriental. L’avis qu’il reçut de l’expédition du général Lavalle ne l’émut point ; il sourit aux plans chimériques qu’on fondait sur un pareil adversaire, et poursuivit l’exécution de ses projets contre Montevideo. Avec quelle anxiété nous suivions tous ses mouvemens ! La question était pour nous pleine d’intérêt ; on sentait qu’une crise approchait. D’un côté se trouvait Rivera, notre douteux ami, menacé par le lieutenant de Rosas et seul dans l’Uruguay pour lui résister ; de l’autre était Lavalle dans l’Entre-Rios, Lavalle, notre créature et le dépositaire de toutes nos espérances. L’absence d’Echague et de toute son armée laissait la province libre de se prononcer pour notre cause ; c’était là un concours surprenant d’évènemens favorables ; notre but fut de le maintenir. Nous craignions médiocrement pour Rivera et tout pour Lavalle d’une rencontre avec l’armée ennemie ; notre escadrille eut l’ordre de fermer à celle-ci l’Uruguay, et nos navires se postèrent en effet de manière à lui couper la re-