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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

tionnaire, le débarquer au point que désignerait le général, l’aider même, s’il était nécessaire, du feu de ses canons, jusqu’à ce qu’il eût pris une position sûre, et lui offrir asile en cas de revers ou de retraite.

À l’apparition de ce nouvel étendard que protégeaient nos navires, la petite colonie d’exilés argentins de Montevideo sembla transportée dans un monde de chimères. À ses yeux, déjà Buénos-Ayres était libre, Rosas n’existait plus, on organisait un gouvernement, on se distribuait le pouvoir, chacun prenait sa part. Mais puisqu’on répudiait l’ancien signe des unitaires, Lavalle, chassé autrefois comme chef de ce parti par le vœu de la nation, ne pouvait plus se présenter pour occuper le rang suprême. Aussi s’annonçait-il simplement comme général, sans autre prétention que celle d’affranchir le pays de la tyrannie ; une junte, sous le nom de Commission argentine, fut réunie, elle se composait d’hommes qu’on croyait influens parmi les proscrits ; notre chargé d’affaires, dont elle était l’œuvre, en restait le haut et mystérieux directeur. C’était elle qui devait imprimer l’impulsion aux affaires, représenter le pouvoir législatif, et, après la prise de Buénos-Ayres, convoquer le peuple, afin de prononcer la déchéance de Rosas et sa mise hors la loi, élire enfin un nouveau gouverneur qui fût la véritable expression du vœu de la nation. Par les mains de cette commission devaient passer l’argent de la France et tous les secours d’armes et de munitions que nous avions promis. Le général correspondrait avec le comité directeur, s’inspirerait de ses avis, de ses ordres même. Tel fut le plan politique.

Quant à la conception militaire, la voici telle qu’elle existait dans l’imagination de nos agens. Nos navires porteraient dans l’Uruguay Lavalle et ses partisans, et remonteraient jusqu’au confluent du Gualeguaychù, où s’opèrerait le débarquement ; alors le général libérateur, composant son armée de l’élite des braves prise dans la foule des habitans qui se prononceraient spontanément en sa faveur ; traverserait toute la province de l’Entre-Rios, en organisant les villages où il passerait, se rendrait à la Bjada, capitale de la province, dont il prendrait possession, destituerait Echague, gouverneur de l’état et fidèle à Rosas, établirait une administration nouvelle dévouée à la cause sainte ; et, ce premier pas fait (bien facilement sans doute, puisque tous les cœurs de l’Entre-Rios allaient voler au-devant du libérateur), tandis que le général argentin achèverait de pacifier la province et d’y fonder son autorité, nos navires, redescendant l’Uruguay et remontant le Parana jusqu’à la Bajada, prendraient à leur bord l’armée libératrice victorieuse, et la porteraient sur la rive droite du fleuve, dans la province de Santa-Fé, qui, ainsi que l’Entre-Rios, se lèverait devant le libérateur et le porterait en triomphe, entraînant comme un torrent par son exemple toutes les autres provinces du nord et de l’ouest ; puis, le héros des vrais cœurs argentins, poursuivant sa marche triomphale, irait dans les temples de Buénos-Ayres bénir Dieu de l’avoir choisi pour sauver la patrie.

Ainsi nous combinions le renversement du général Rosas, et lui, de son