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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

le fond de sa pensée : il laissa voir tout son ressentiment contre notre chargé d’affaires et combien il avait l’ame ulcérée de ses dédains. Préalablement à toute discussion, il réclamait « des agens suffisamment autorisés par sa majesté le roi des Français. Je ne doute pas un moment, écrivait-il au commodore, dès que votre seigneurie me l’assure, que M. Martigny ne soit revêtu par son gouvernement du caractère de consul-général et de chargé d’affaires de France, et que, comme tel, il ne soit autorisé à discuter et à régler la question pendante entre la France et cette république ; mais votre seigneurie reconnaîtra également que cette croyance ne me relève pas de l’obligation d’attendre, dans mon caractère officiel, la présentation des lettres de créance dont a besoin M. Martigny pour traiter sur une matière publique avec mon ministre des relations extérieures. L’usage des nations et les règles les plus communes observées en pareil cas m’imposent cette formalité… »

Rappelons ici que, dans son ultimatum du 23 septembre 1838, notre premier agent consulaire avait présenté ses conditions sous une forme inexorable ; il exigeait :

1o Comme réparation du passé, des indemnités pour les Français lésés par les autorités locales ; on citait nominalement les ayant-cause, et l’on fixait la quotité des allocations ;

2o Comme satisfaction présente due à la France, la destitution du général Ramirez, qu’il accusait d’attentat contre notre compatriote Lavie ;

3o Comme garantie d’avenir, le traitement de la nation la plus favorisée pour nos nationaux établis dans le pays, au moins en ce qui concerne les personnes et les propriétés.

Dans les propositions du commodore, les termes n’étaient plus aussi rigoureux ; il demandait comme base des conférences : 1o la jouissance pour nos nationaux, quant à leurs personnes et leurs propriétés, de la protection qui est accordée à tous les autres étrangers qui n’ont aucun traité positif ; 2o le même traitement pour ce qui est relatif au service militaire ; 3o le principe des indemnités seulement, mais avec arbitrage. Il stipulait en outre la remise de l’île de Martin-Garcia, et, afin de ne point heurter une loi fondamentale de la république par laquelle il est défendu au gouverneur-général de traiter avec un chef à la tête d’une force armée, il promettait qu’à l’arrivée de M. Buchet-Martigny l’escadre de blocus se retirerait hors de vue de la ville, vers la pointe de l’Indio ou à la Colonia. Mais les contre-propositions du général Rosas étaient bien loin de ce projet, déjà si mitigé. Il n’accordait aux citoyens français, « pour leurs personnes et leurs propriétés, que la protection que la loi accorde à tous les étrangers qui n’ont aucun traité, et, pour ce qui a rapport au service militaire, que le traitement de ces mêmes étrangers ; il posait le principe des indemnités réciproques, considérant comme dommages indemnisables par la France les effets de notre blocus, avec décision d’arbitres. »

N’était-ce là que l’entrée en pourparlers d’un homme qui prétendait avoir surtout à cœur d’établir son droit de discuter les propositions de la France et de repousser l’idée qu’il s’humiliait sous les conditions rigoureuses d’un