Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/324

Cette page a été validée par deux contributeurs.
320
REVUE DES DEUX MONDES.

On comprendra facilement d’ailleurs l’entraînement des proscrits argentins dans cette coalition fondée sous les auspices de la France. Ces malheureux sans patrie accouraient dès qu’on leur en présentait l’ombre ou du moins l’espérance. Le général Rivera les vit se rallier en grand nombre sous ses drapeaux : don Juan Lavalle les commandait encore ; mais ils ne tardèrent pas à reconnaître qu’ils s’étaient leurrés d’un vain espoir. Trompés dans leurs désirs les plus ardens, ils se retirèrent en maudissant l’auteur de leurs amères déceptions. Le général Lavalle, indigné contre Rivera, qu’il avait toujours trouvé faux dans ses promesses, alla dévorer ses chagrins à la Colonia, en jurant de ne plus se laisser prendre à un appât si souvent trompeur. Ainsi s’évanouit comme un songe tout l’espoir de cette coalition, et il n’en resta qu’un pénible souvenir.

§ V. — NÉGOCIATION DU COMMODORE NICHOLSON.
— OPÉRATIONS MILITAIRES.

Nos agens s’étaient bercés d’espérances brillantes, mais malheureusement un peu chimériques ; ils tombèrent comme étourdis devant la réalité : plus le rêve avait été beau, plus le désenchantement fut pénible ; au réveil, ils se trouvèrent jetés dans une guerre dont on ne pouvait prévoir la fin, privés des moyens de la pousser activement, et n’ayant pour appui que l’approbation douteuse de leur gouvernement. La France ne s’apercevrait-elle pas que nous nous étions fourvoyés ? L’épuisement amena le découragement ; ils désespérèrent un instant. Ce fut alors que le commodore américain, John B. Nicholson, vint proposer son intervention officieuse dans le but de ménager un accommodement entre la France et la République Argentine. Il avait suivi attentivement la querelle dans ses phases diverses, et ce qu’il avait vu des hommes et des choses lui faisait penser qu’au fond tout se réduisait à une question de mots, à des amours-propres blessés, à d’injustes préventions qu’une conciliation adroite pouvait effacer. Jusque-là M. Buchet-Martigny s’était maintenu à une hauteur presque inabordable, il y croyait l’honneur de la France engagé ; sa résolution se modifia un peu avec les circonstances, il prêta l’oreille aux ouvertures du commodore, mais à la condition que celui-ci écarterait avec soin toute idée de mandat officiel, car l’agent français, qui n’avait pas même notifié au gouvernement de Buénos-Ayres son arrivée dans la Plata et l’objet de sa mission, eût cru compromettre la dignité de son pays et la sienne propre en faisant au général Rosas des avances pacifiques.

Le commodore écouta M. Buchet-Martigny et M. le contre-amiral Leblanc, puis il se rendit à Buénos-Ayres (4 avril 1839) ; il vit le gouverneur et lui proposa d’ouvrir des conférences de paix. D’abord le général Rosas insista pour avoir l’assurance écrite que le commodore était duement autorisé dans ses démarches par les agens de la France. Cette première satisfaction obtenue, il reçut les propositions de l’Américain, mais avant d’y répondre il fit éclater