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rale, car on crut que nous appuyions les opérations du siége qu’il dirigeait en personne. Oribe succomba : il dut se démettre des fonctions de président en faveur du général Rivera, son ennemi. Il quitta Montevideo la haine au cœur contre les Français : il refusa même une goëlette de guerre argentine que nous laissions à sa disposition, ne voulant rien nous devoir, pas même une politesse ; il aima mieux fuir comme en cachette à bord d’un navire anglais, et se réfugia à Buénos-Ayres. Il y fut bien accueilli par le général Rosas.

Les avantages que nous retirions du renversement d’Oribe peuvent justifier en quelque sorte notre quasi-intervention armée dans les troubles civils qui déterminèrent cet évènement. Nous l’avons déjà dit, dans le système de blocus adopté, il nous était presque indispensable de trouver un appui à Montevideo, soit pour réparer nos navires, soit pour y vendre les prises. Tant qu’Oribe fut à la tête de la république, nos rapports avec la ville furent plutôt hostiles que bienveillans. Le triomphe du général Rivera, au contraire, était notre propre triomphe. Montevideo devenait tout à coup une ville amie, nous avons presque dit alliée ; notre blocus se simplifiait, et nous le rendions en même temps plus effectif.

Nous ne nous arrêtâmes pas là. Tout fier de l’approbation de son gouvernement, l’agent français lança l’ultimatum du 23 septembre. Cette pièce semblait calquée sur le fameux ultimatum du Mexique, où M. le baron Deffaudis exposa d’une manière si énergique devant le monde entier les étranges iniquités contre lesquelles nos compatriotes invoquaient la protection de leur patrie. Il y avait loin sans doute de la grande affaire du Mexique, dénouée par le beau fait d’armes de Saint-Jean-d’Ulua, à cette question de Buénos-Ayres ; mais l’agent consulaire avait à cœur de prouver au général Rosas et au gouvernement argentin qui feignaient d’en douter, que c’était bien au nom de la France qu’il avait parlé jusqu’alors ; il insistait donc. « Le gouvernement français, disait-il, a jugé à propos de charger son consul gérant le consulat-général de France à Buénos-Ayres, et nul autre, de rappeler succinctement les griefs dont la France doit obtenir réparation, et de faire connaître les satisfactions qu’elle exige comme conditions indispensables du rétablissement de la bonne harmonie entre la France et la République Argentine. »

Cette déclaration, malgré ses formes pompeuses, eut le sort des précédentes : on savait que M. Buchet-Martigny, consul-général de Buénos-Ayres, ne devait pas tarder à venir ; le général Rosas attendit ; s’il était réduit à plier, au moins ce ne serait pas devant notre jeune consul.

Sans doute aussi M. le contre-amiral Leblanc se lassait d’être le dépositaire d’une force qui semblait dans sa main un épouvantail inutile : il résolut d’entrer activement dans la querelle et d’y marquer une trace profonde.

À l’extrémité de la Plata, au point même où le Parana et l’Uruguay, se faisant jour à travers mille découpures du terrain, viennent confondre leurs eaux, s’élève solitaire au milieu de leurs flots bourbeux l’îlot rocailleux de Martin-Garcia. La nature semble l’avoir placé là pour indiquer la limite où