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hasards d’une bataille. Elle eut lieu au Palmar, au mois de juin 1838. Qu’on ne se figure point des centaines de mille hommes se heurtant sous le feu d’une nombreuse artillerie et se disputant pied à pied le terrain sanglant du combat. Les armées qui décident ici du sort des empires sont des corps de deux ou trois mille hommes, presque tous à cheval, plus ou moins mal armés, et se précipitant, à peine en ordre, les uns sur les autres ; ceux qui se débandent les premiers sont les vaincus : ils fuient au hasard, et portent au loin la renommée de la bataille si terrible (la batalla tan terrible) ! On compte les morts sur le champ du carnage, et c’est à peine si l’on trouve quelques malheureux gisant démontés ou expirant de leurs blessures.

Le général Lavalle eut les honneurs de la journée : il enleva la victoire à la pointe de la lance. Son nom retentit par toute la contrée comme celui d’un héros ; la cause des Argentins proscrits sembla se personnifier en lui. Aussi, quand le mois suivant (24 juillet) il se présenta aux portes de la Colonia, soumise quelques jours auparavant sans effusion de sang aux lieutenans du général Rivera, il fut reçu comme en triomphe : la population courut à sa rencontre, les cloches se mirent en branle, tous les partis s’embrassèrent comme de vieux amis qui se retrouvent ; l’air retentit des cris de vive Lavalle ! meure Rosas ! Nos officiers, témoins de ces ovations, et qui, nouvellement arrivés dans la Plata, ignoraient encore combien l’enthousiasme naît et meurt vite chez ces peuples, crurent que l’heure de la chute du général Rosas allait sonner.

Le président Oribe s’enfuit à Montevideo pour réchauffer le zèle de ses partisans, s’y procurer de l’argent et une nouvelle armée. Il fut suivi par le général Rivera, mais lentement et pas à pas ; ce chef, long-temps éprouvé par la fortune, donne peu au hasard : il connaît trop bien ses compatriotes. D’un coup d’œil il jugea la cause de son adversaire perdue ; dès-lors ce ne fut plus pour lui qu’une question de temps ; sûr de le faire tomber, il ne voulut rien compromettre par une précipitation inutile : les caprices de la fortune ont une trop grande part dans les chocs brusques ; il alla camper aux portes de Montevideo et attendit.

Durant ces premiers mois, notre blocus s’établit, mais avec une bénignité touchante. On se faisait de part et d’autre de mutuelles protestations d’une sincère amitié. Le capitaine Daguenet recommandait les plus grands ménagemens aux officiers chargés de signifier le blocus aux caboteurs, dans la crainte de fâcher le gouvernement de Montevideo ; et quels procédés n’avait-on pas pour les Argentins qu’on arrêtait, tant on appréhendait d’irriter les susceptibilités nationales ! car c’était avec le gouverneur Rosas et non avec son peuple que nous étions en hostilité. Et cependant le gouvernement de Buénos-Ayres ne venait pas faire amende honorable, et les habitans de la province ne se soulevaient pas pour briser l’entêtement du chef ! Nos agens s’aperçurent enfin qu’il pouvait bien y avoir quelque chose d’exagéré dans leurs premières espérances. Les lettres du capitaine Daguenet allèrent inquiéter l’amiral Leblanc à l’île de Sainte-Catherine, où il était retiré. De jour en jour, les