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antipathie pour le président Oribe, qui, de son côté, ne dissimulait point son éloignement pour les Français. Montevideo ne nous offrait donc qu’une hospitalité douteuse ; d’ailleurs, en ces temps de guerre civile, Montevideo était bien loin de l’état de splendeur et de l’importance commerciale où il s’est élevé pendant notre blocus. En l’englobant dans le blocus général de la Plata, le tort qui en fût résulté pour le commerce étranger et pour le nôtre n’eût pas été considérable. Cependant on préféra le second moyen de blocus, celui qui se bornait à surveiller la côte argentine, moins puissant et moins rigoureux sans doute, mais qui écartait tout ombrage et ne laissait aux neutres aucun sujet de plainte. On le fit ainsi, et l’on fit bien.

Telle était d’ailleurs au début notre confiance dans le résultat de nos réclamations et notre désir de prouver à toutes les nations notre désintéressement, que nos officiers reçurent l’injonction de n’intervenir jamais dans les troubles civils du pays, d’offrir un asile au malheur sans distinction de drapeau, et de ne témoigner de préférence pour la cause d’aucun des partis alors en guerre ouverte. Nous eussions cru tomber en déchéance et manquer à la dignité de la France, si, dans cette querelle avec Buénos-Ayres, nous avions écouté seulement la proposition d’associer nos couleurs à celles de l’un des chefs qui se disputaient le pouvoir.

Quand l’agent consulaire et l’amiral Leblanc eurent prononcé solennellement la formule du blocus, ils se reposèrent pleins de foi dans l’effet prestigieux de leurs menaces, se flattant chaque jour que le gouvernement de Buénos-Ayres les enverrait supplier de lever l’interdit dont ils avaient frappé les ports argentins. Le premier se retira à Montevideo, le second sur la côte du Brésil. L’amiral attachait si peu d’importance à cette affaire, qu’il en abandonna la direction à l’un de ses capitaines, M. Daguenet, le laissant avec quatre navires, le d’Assas, l’Alerte, la Camille et l’Expéditive, pour barrer les principales voies du commerce de Buénos-Ayres. Mais sur quoi se basaient donc cette imperturbable assurance d’un côté et cette crédulité naïve de l’autre ? On se disait : — Le commerce extérieur fait la vie de Buénos-Ayres, sa splendeur et toute son importance ; tout le revenu du trésor public repose sur les douanes ; arrêtons le commerce étranger, c’est le premier effet du blocus, et d’un seul coup nous tarissons la source du trésor public. Ainsi, tout manquera à la fois au général Rosas, et la solde de son armée et le traitement de ses employés ; son gouvernement devient impossible ; tandis que les habitans, gênés par la privation des objets de luxe, dont un long contact avec les Européens leur a fait une habitude, irrités de se voir fermer tous les débouchés pour les productions du pays, ou le forceront à traiter avec nous, ou se soulèveront contre lui et le renverseront. — Le dilemme paraissait sans réplique. Seulement on avait oublié deux traits distinctifs du caractère de ces peuples de race espagnole : l’inertie et une certaine fanfaronnade de point d’honneur. Là se retrouve encore comme une vertu innée quelque reste de la sobriété antique des Espagnols ; d’ailleurs, le sol du Nouveau-Monde est assez riche des fruits qu’il produit spontanément pour suffire toujours aux premiers besoins