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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

l’un repoussant loin de nous l’état oriental, l’autre recherchant son amitié. Pour nous décider dans cette alternative, il fallait donc que nous prissions en considération l’état politique du pays.

Deux partis en armes se disputaient, à cette époque, le pouvoir dans la république de l’Uruguay : le premier obéissait au président légal de la république, Oribe ; le second, révolté contre l’autorité légitime, reconnaissait pour son chef le général don Fructuoso Rivera, ex-président de l’état, alors proscrit et forcément jeté à la tête de la révolution. Don Fructuoso avait pour lui l’influence que donne un habile exercice du pouvoir suprême pendant quatre années, l’éclat de son nom, le souvenir de grands services militaires rendus à la patrie dans les guerres de l’indépendance contre les Espagnols et contre les Portugais qu’il expulsa de la république, l’autorité qui s’attache toujours à un grand citoyen injustement persécuté, enfin un prestige puissant vis-à-vis de l’armée, et une popularité extrême parmi les gens de la campagne, riches propriétaires aussi bien que paysans. Don Fructuoso est en effet leur patron et leur camarade, il les apostrophe par leurs noms, il leur frappe sur l’épaule, il partage volontiers leurs habitudes et surtout leurs plaisirs ; il se les attache par une générosité sans bornes, par une sorte de lien féodal en leur donnant des terres sans rétribution, en franc aleu ; aussi aiment-ils tous leur compadre Rivera. Oribe, moins populaire, entouré de bien moins d’illustration, tirait sa force principale de la ville de Montevideo, la plus grande partie des habitans s’étant prononcée énergiquement pour lui, par opposition radicale au parti de la campagne : il comptait aussi sur la grande majorité de la population des rives de l’Uruguay, puissamment intéressée à sa conservation ; enfin à cette opinion s’étaient joints naturellement tous ceux qui étaient mécontens de l’ancienne administration. Chaque parti avait son nom : les rouges (colorados) à la suite du général Rivera, les blancs (blanquillos) à la suite du président Oribe ; chacun était classé d’après la couleur de son drapeau.

Le général Rosas et le général Rivera se haïssent profondément. Nous n’entrerons pas dans le détail des évènemens qui ont fait éclater ce sentiment entre deux chefs dont la puissance a la même origine et la même base, qui tous deux s’appuient sur le même élément de force, la campagne. Qu’il nous suffise ici de constater le fait et d’indiquer une opposition complète entre les caractères de ces deux hommes : Rosas vindicatif, cruel, implacable ; Rivera sans fiel, débonnaire même, du moins en apparence, incapable de se laisser emporter à aucun élan de colère ou de vengeance, pardonnant et faisant du bien à tous ses ennemis. Quant au président Oribe, il est entièrement dévoué au général Rosas, et celui-ci considérait leur cause comme unie si étroitement, qu’il était prêt à intervenir dans la république de l’Uruguay comme protecteur armé de l’état actuel des choses, soit pour repousser une agression étrangère, soit même pour étouffer les révoltes intérieures.

Naturellement, nous souhaitions le triomphe du général Rivera ; nos nationaux, emportés par leur fougue habituelle, manifestaient hautement leur