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une petite mer méditerranée, comme un bras de l’Atlantique, car il a près de quatre-vingts lieues de profondeur dans l’intérieur des terres, et l’on compte cent cinquante milles de distance entre les deux caps qui marquent l’endroit où ses eaux viennent se mêler aux eaux de l’Océan. L’hydrographie du Rio de la Plata ayant été jusqu’ici incomplète ou mal faite, la navigation de ce fleuve conservait quelque chose d’incertain et de fabuleux : on savait que sous ses flots se cachent d’innombrables bancs où bien des navires sont restés ensevelis, que des courans rapides portent et reportent alternativement ses eaux du rivage à la mer, et de la mer à ses rives intérieures, en suivant mille canaux tortueux. Bien des navigateurs ne parlent encore qu’avec effroi des pamperos, de ces coups de vent éclos dans les déserts des pampas, qui balaient inopinément le fleuve dans toute sa longueur et vont ensuite expirer à deux ou trois cents lieues dans l’Atlantique. Tous ces dangers exagérés ou mal appréciés provoquaient des craintes irréfléchies. La rive gauche ou septentrionale du fleuve est occupée par la république orientale de l’Uruguay[1] ; la rive droite sert de frontière naturelle à la province de Buénos-Ayres.

C’est sur cette dernière rive et presque au fond de la rivière qu’est située la ville qui donne son nom à toute la province. Autrefois la résidence des vice-rois, on la regarde aujourd’hui comme la capitale de la République Argentine. Il y a douze ans, on comptait dans son enceinte plus de quatre-vingt mille habitans ; mais elle a singulièrement déchu depuis cette époque. Les guerres civiles, les proscriptions et le blocus de la France ont réduit sa population à cinquante mille ames à peine. Là se trouve l’entrepôt général des marchandises dont l’Europe alimente les provinces intérieures, là aussi viennent s’entasser tous les produits de la contrée, et c’est dans la rade de Buénos-Ayres, rade foraine et ouverte à tous les vents, que se réunissent les mille navires chargés annuellement du commerce d’échange entre cette partie de l’Amérique et le reste du monde.

On voit tout d’abord qu’il y avait deux manières d’établir le blocus : ou bien on pouvait fermer complètement la rivière en traçant une ligne de croisière d’un cap à l’autre de son embouchure, choisissant Rio-Janeiro comme pivot de la station, comme point de ravitaillement de nos navires, et alors on bloquait tout à la fois et les provinces argentines et la république de l’Uruguay ; ou bien, laissant libre toute la Bande Orientale, et même se l’attachant par les liens d’un intérêt commun, on pouvait se borner à éparpiller le long de la côte méridionale de la Plata, sur les hauts-fonds dont elle est bordée, un réseau de petits navires qui la tiendraient étroitement gardée. Dans cette dernière combinaison, Montevideo devenait le point d’appui de toutes nos opérations : nous y trouvions un port de refuge, de ravitaillement et de radoub pour notre division navale.

Ainsi se trouvaient en présence deux systèmes opposés dans leurs principes,

  1. Nous appellerons indifféremment République Orientale, république d’Uruguay, province cis-platine, Bande Orientale, l’état dont Montevideo est la capitale.