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loir entrer ici dans le fond de la question, nous dirons que ce n’est pas sans quelque étonnement que nous avons vu une partie de la chambre avoir recours, dans cette occasion, aux expédiens extrêmes de la tactique parlementaire. Un certain nombre de députés ont voulu, en se retirant pendant la discussion de l’article en question, rendre la délibération impossible.

Nous ne dirons pas que c’est là un expédient illicite, une manœuvre répréhensible ; on peut à la rigueur imaginer telle circonstance où tout bon citoyen ne devrait pas hésiter à l’employer. Il se peut qu’une assemblée peu nombreuse, emportée par la passion, se livre à des résolutions qu’elle ne prendrait pas, si elle se donnait le temps de réfléchir, et si tous les députés étaient présens. À la vérité, avec nos règlemens et nos formes, ces cas sont rares, très rares chez nous. Toute question grave est annoncée long-temps d’avance, et les députés, dans ces jours solennels, se rendent régulièrement à leur poste. Les questions imprévues qui peuvent surgir dans le débat des affaires courantes n’ont guère d’importance. Quoi qu’il en soit, nous ne contestons pas le droit ; mais ce droit est, ce nous semble, un de ces moyens extraordinaires qu’il convient de réserver pour les grandes circonstances : c’est alors seulement qu’on peut l’exercer avec dignité. Prodigué, il ôte aux débats législatifs leur sérieux et leur gravité.

Une dépêche télégraphique annonce l’arrangement de nos difficultés avec le gouvernement de Buenos-Ayres. C’est une heureuse nouvelle, car nous espérons que les conditions du traité ne nous feront pas regretter la cessation des hostilités.

Le différend de l’Espagne avec le Portugal paraît devoir se terminer par la médiation de l’Angleterre, qui ne laisse échapper aucune occasion d’étendre son influence à la Péninsule tout entière. Espartero voulait, en mettant l’épée dans les reins aux Portugais, se préparer un titre à la reconnaissance des Espagnols, peut-être aussi trouver une occupation pour une partie de l’armée. L’armée est à la fois sa force et un embarras pour lui.

De nouveaux troubles ont été sur le point d’éclater en Suisse, dans le canton de Soleure. La Suisse, avec sa vieille organisation fédérale, est comme une rivière dont on n’a pas depuis long-temps réparé les digues. L’eau s’échappe de tous côtés, tantôt ici, tantôt là. Les partis osent tout, parce qu’ils ne sentent pas au-dessus d’eux une autorité centrale forte et régulière. Le directoire fédéral est obligé d’intervenir comme il peut. Il maintient l’ordre public par des coups d’état. Il sauve la vieille constitution fédérale en la violant. La force de la Suisse est tout entière dans ses mœurs, dans l’organisation de la famille et de la commune. Elle est forte des vices qu’elle n’a pas. Morcelée, démocratique, dépourvue de grandes villes, de grandes existences, de grandes fortunes, elle ne connaît pas de grandes influences personnelles. Celui qui peut agiter sa commune est inconnu à deux lieues de là ; il serait parfaitement ridicule s’il essayait de faire sentir son influence plus loin que l’ombre du clocher de son village. Ce morcellement de toutes choses a de grands inconvéniens, des inconvéniens que rien ne peut complètement rache-