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REVUE. — CHRONIQUE.

sommes loin de révoquer leur patriotisme, leur dévouement à la commune patrie ; mais si elles se surprenaient à désirer une capitulation avant d’être réduites aux dernières extrémités, elles ne seraient pas à la fois effrayées et contenues par la terrible pensée qu’en livrant la place, elles donneraient à la guerre une issue funeste et définitive.

Cette grande et terrible pensée serait au contraire toujours présente à l’esprit des Parisiens. Ils seraient à la fois, fiers et jaloux du rôle que les évènemens de la guerre leur auraient réservé. Voudraient-ils que la France entière pût s’écrier : Les Parisiens pouvaient, par une résistance de quelques jours, sauver la patrie, les Parisiens ne l’ont pas voulu ; ils ont préféré au salut de la France leurs pénates, leurs maisons, leurs richesses, leurs plaisirs ; ils ont préféré les plaisirs des boulevards aux dangers du rempart.

Non, de pareilles suppositions sont également repoussées et par l’histoire et par l’observation du cœur humain.

Dès-lors il ne reste qu’une ressource aux ennemis du projet : c’est de nier la possibilité de fortifier Paris. Réduite à ce point, la question n’est plus sérieuse. Quoi ! des financiers, des commerçans, des littérateurs, des juristes, pourraient nier avec quelque autorité ce qui a été de tout temps, et à la suite des études les plus approfondies, affirmé par les hommes de guerre les plus illustres, par les juges les plus compétens ! En vérité, quel que soit notre respect pour les opposans, nous demandons humblement la permission de nous en tenir à l’avis de Vauban et de Napoléon.

Une observation nous frappe. Les opposans insistent sur les dangers que la défense ferait courir à la population parisienne, sur les souffrances auxquelles elle serait exposée, sur la probabilité d’une prompte reddition, auquel cas les fortifications, disent-ils, deviendraient dans les mains de l’ennemi une arme contre nous. Mais se placent-ils avec le même soin au point de vue de l’ennemi ? Tiennent-ils compte de sa situation, de ses prévisions, de la difficulté d’entreprendre avec succès un si grand siége, des dangers que la résistance de Paris lui ferait courir, pouvant à chaque instant perdre ses lignes de communication, ses magasins, ses réserves, et se voir contraint à une retraite désastreuse, ou menacé d’une destruction totale ? Là est cependant le point capital de la question. On parle du siége de Paris, et il importe, avant tout, de parler des raisons qu’aurait l’ennemi de ne pas entreprendre ce siége, de ne pas s’aventurer sous les murs d’une capitale fortifiée qui peut faire sortir de ses entrailles une armée formidable, une armée qui peut coordonner son action avec les mouvemens de l’armée extérieure, une armée exaltée par la grandeur de la lutte et l’immense importance des résultats. Les fortifications de Paris ne sont donc pas seulement un moyen défensif, elles seront avant tout un moyen préventif. Elles auront pour effet certain de ramener la guerre dans les conditions de ces guerres de siéges et de frontières qui ont jeté un si grand éclat sur le règne de Louis XIV. On pourra sans doute attaquer nos frontières, mais on n’osera plus laisser derrière soi nos places fortes et leurs garnisons pour se ruer sur Paris.