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ques fonctionnaires. Dans les trois derniers mois, on a vu la destitution universelle, absolue, sans exception, de tous les fonctionnaires du pays, grands et petits, y compris les alguazils et les facteurs de la poste. Le dévouement aux institutions constitutionnelles, les sacrifices faits à la cause de la liberté, l’émigration soufferte sous l’absolutisme, les services rendus, rien n’a été un motif suffisant pour conserver à un modéré une place honorablement acquise. Dès qu’on n’était pas progressiste, on a été mis à la porte et traité en ennemi public.

En ce moment même, on poursuit comme des délits les votes émis dans les dernières élections en faveur des cortès dissoutes. Un malheureux alcade, qui n’ose se nommer, écrit à un journal de Madrid que, sous prétexte de la part qu’on l’accuse d’avoir prise aux élections de 1839, terminées il y a onze mois, ses ennemis l’ont jeté en prison depuis le jour du pronunciamiento (septembre dernier), et qu’on l’y garde en le maltraitant, mais sans lui faire subir d’interrogatoire, le soumettant à une procédure secrète, comme au temps de l’inquisition. À Caceres, don Maurice Cerisoles, ex-député provincial, propriétaire, homme influent et considéré, est depuis deux mois en prison pour le même motif. On voit comment s’exécute l’amnistie proclamée par la régence pour l’oubli de toute récrimination politique.

Veut-on savoir cependant à quoi les dépositaires de l’autorité font servir le pouvoir dont ils sont revêtus et dont ils se gardent bien de faire usage pour faire respecter les citoyens ? Voici à ce sujet un bien petit fait, mais curieux et caractéristique. Le nouveau chef politique de Pampelune se rendait dernièrement à son poste ; il voyageait par la diligence. Arrivé à l’auberge de Campanas, située sur la route, l’appétit lui vient ; il demande à déjeuner. On lui répond que ce n’est pas là le lieu ordinaire de la halte. Peu lui importe. Il ordonne que la diligence s’arrête, il en descend, et les voyageurs sont obligés d’attendre que sa seigneurie ait fini tranquillement son repas. Sans attacher à ce fait plus d’importance qu’il n’en mérite, nous le donnons comme un exemple de l’idée que les autorités progressistes se font de leurs droits.

Venons maintenant à quelque chose de plus sérieux. La désorganisation générale a gagné l’armée elle-même, cette source de la puissance d’Espartero. À Valladolid, des officiers se sont réunis en banquet patriotrique, et ont parcouru la ville en criant : Vive la république ! À Murcie, le régiment provincial d’Oviedo s’est soulevé et