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rentré de son exil de fructidor, se liait étroitement avec lui ; M. Joubert, dont on sait de belles pensées et dont les œuvres plus complètement recueillies ne tarderont pas à paraître, voyait dans le jeune homme sérieux le confident peut-être le plus ouvert à ses subtiles et fines délicatesses. M. de Bonald s’y mêlait ; M. de Châteaubriand, enfin, venait couronner le cercle de cette intimité d’alors, autour de Mme de Beaumont. Les Mémoires consacreront un jour cette société de la rue Neuve-du-Luxembourg.

En entendant l’autre jour à l’Académie M. Molé, il me semblait reconnaître une teinte marquée de cette époque qui se réfléchissait dans son discours ; c’était un certain accent de doctrines religieuses, sociales, conservatrices, réparatrices. L’abbé Émery y avait bien la louange qu’on lui donnait en ce temps-là. L’académicien parlait entre M. de Châteaubriand et M. Royer-Collard. Et nul doute que c’était le souvenir de ces années de jeune union, qui avait ramené là M. de Châteaubriand, malgré son absence de dix ans à ces sortes de solennités.

Un ouvrage de M. Molé se rapporte à ce moment qui précéda son entrée dans la carrière publique. Il fit paraître en 1806, sans nom d’auteur, des Essais de Morale et de Politique, qu’appuyèrent fort ses amis, Fontanes notamment dans le Journal de l’Empire. Beaucoup de gens aujourd’hui vous parlent à l’oreille de cet ouvrage et l’incriminent sur ouï-dire ; la plupart seraient fort étonnés, s’ils le lisaient, d’y trouver un écrit tout de forme métaphysique et de déduction abstraite, d’un dogmatisme ingénieux, mais assez difficile et obscur. Le livre donne du respect pour la jeune intelligence qui l’a conçu. On sent que l’auteur a causé beaucoup avec M. de Bonald, et qu’aussi il a étudié les mathématiques. Mais, si mûr qu’il fût alors, il ne l’était pas encore assez pour paraître simple. Je conjecturerais que les résultats de l’expérience de l’homme politique sont devenus, depuis, d’autant plus positifs qu’il ne les formule jamais.

La seconde édition des Essais de Morale et de Politique (1809) contenait de plus une Vie de Mathieu Molé, où se mêlent avec convenance, à une manière nette et tout-à-fait saine, quelques traits d’imagination et de sentiment : « Pendant que Troie était en flammes, écrit l’auteur en commençant, peu de gens ont imité le pieux Énée ; pour moi, moins heureux que lui, je n’ai pu sauver mon père, mais je ne me suis jamais séparé de mes dieux domestiques. » Les dernières pages offrent quelque chose de méditatif, une sorte de reflet détourné, mais sensible, du jeune contemporain de