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de sa maison. » À la modestie de M. Molé, on aurait pu répondre quelque chose de tel. S’il n’eut pas les écoles, il eut la famille. Et quant au fond, il ne sera pas sans intérêt ici de parler de ces leçons du malheur qu’il a touchées d’un mot.

Son père, président au parlement de Paris, n’avait point émigré ; après un voyage à Bruxelles, où son fils, âgé alors de dix ans, l’accompagnait, il était rentré en France dans le délai accordé par la loi. Mais bientôt, mis en arrestation par mesure générale avec les principaux habitans du faubourg Saint-Germain, il faillit être enveloppé dans les massacres de septembre. C’est alors que commença cette rude et forte éducation des choses pour le jeune Mathieu Molé, âgé de onze ans. Il s’agissait de sauver son père, il fallait pénétrer aux sections, solliciter les meneurs, les intéresser, arracher un ordre de délivrance. Cette première fois le jeune enfant l’obtint ; il vit son père tiré vivant du sein du massacre et ramené à l’hôtel Molé aux applaudissemens du même peuple mobile qui, la veille, l’aurait insulté, et qui le lendemain le verra mourir. Le jeune homme ne se doutait pas qu’il avait déjà beaucoup appris. Il avait déjà trouvé, par piété filiale, dans ses journées passées aux sections, quelque chose de l’art d’aborder, de deviner, de manier les hommes.

Son père ne tarda pas à être ressaisi par la loi des suspects ; compris ensuite dans la mise en jugement du parlement de Paris, il allait monter à l’échafaud. Cette fois, les sollicitations, les efforts désespérés du jeune homme ne purent rien : il passait sa vie à épier à la sortie quelques membres du tribunal ou de la Convention, quelque ancienne connaissance, telle que Hérault de Séchelles, qu’il avait vu chez son père. Rien n’y fit. Son père mourut. Le lendemain de l’exécution, sa mère, sa famille et lui, fils unique, étaient mis hors de l’hôtel Molé, et dépouillés de tout, à la lettre, par confiscation nationale. Il avait treize ans à peu près, et il dut devenir l’unique soutien des siens pendant quelques années. La détresse des premiers mois fut inexprimable. Sa précocité acheva de s’y développer ; sa nature offrait alors, à ce qu’il paraît, un caractère méditatif qui s’est dérobé depuis sous le positif des affaires et la bonne grace du monde.

Robespierre tomba : le jeune témoin assistait aux séances de la Convention qui amenèrent sa chute. C’était un cours de rhétorique parlementaire très forte, ou même de philosophie de l’histoire, qui en valait bien un autre. La discussion de l’adresse pourrait bien après ne paraître qu’un jeu. Il recueillit de tout cela des impressions profondes, ineffaçables, de ces impressions qui ne devraient jamais être