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DE L’ACADÉMIE.

affaires depuis dix ans, il en est plusieurs qui se sont fait bien des titres de gravité, de vertu, d’éloquence ; il en est deux que j’ai toujours involontairement rapprochés par le contraste et aussi par de certaines ressemblances dans l’effet produit. M. Thiers est certainement un homme de la toute nouvelle société ; M. Molé devient chaque jour un des plus rares représentans de l’ancienne. Ils appartiennent, au moins depuis quelques années, à des systèmes opposés et qui se sont combattus ; l’origine de leurs idées semblait les destiner à se combattre bien plus nettement encore. Les habitudes, les applications de leur parole, ou sobre et proportionnée, ou abondante et féconde, en font des orateurs des plus distincts. Eh bien ! l’un et l’autre pourtant, à l’aide ou des saillies ou des nuances de cette parole, l’un et l’autre de plus ou moins loin et tous les deux de près, arrivent à produire un effet analogue de persuasion facile, de séduction aisée. Ils agréent chacun dans sa forme : on a, si on l’osait dire, du goût pour eux. Un certain charme d’orateur ou de causeur est bien quelque chose à noter le jour où l’on parle d’académie.

Je disais tout à l’heure que le rôle le plus indiqué de l’Académie en ce moment était de maintenir, au milieu de la ruine des procédés et à travers les violations courantes du droit des gens dans les lettres, une certaine politesse, une conciliation dans son sein, une douceur enfin de civilisation à l’aide de ce qui en a été toujours considéré comme l’expression et la fleur. En portant son choix sur M. Molé, qu’a-t-elle fait, sinon de se donner l’élu que lui aurait offert en tout temps, et lorsque la chose comme le nom existait le plus, la société française elle-même ?

M. Molé, au début de son discours, a parlé avec modestie, avec émotion, des jours de son enfance et des enseignemens littéraires réguliers qui, a-t-il dit, lui ont manqué. « Vous, les maîtres de l’art d’écrire et de la parole, la chaîne des temps n’a pas été interrompue pour vous ; avant d’exceller vous-mêmes, vous avez appris. Ceux qui vous ont précédés dans la carrière y ont dirigé vos premiers pas… Vous ne sentez peut-être pas assez vous-mêmes tout le prix de ces biens que vous avez reçus ; croyez-en celui qui les regrettera jusque dans sa vieillesse, et dont l’enfance sans protection, sans guide, n’eut de leçons que celles du malheur. » — On s’étonnait un jour devant M. d’Andilly que son très jeune frère, le docteur Arnauld, au sortir des écoles, eût pu produire en français un livre aussi bien écrit que celui de la Fréquente Communion. « Mais il me semble, répliqua M. d’Andilly un peu fièrement, qu’il n’avait pour cela qu’à parler la langue