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DE L’ACADÉMIE.

Des coteries, de tout temps il y en a eu au sein de l’Académie. C’est malgré une coterie qu’y entrait La Bruyère, lequel s’en est si fort souvenu dans la préface de son discours de réception. Mais ces petits groupes très mobiles, et formés d’ordinaire à l’encontre d’une seule personne, n’avaient rien de persistant ; ce n’étaient pas des partis. Au XVIIIe siècle, en avançant, les oppositions intestines devinrent plus marquées, plus régulières : les évêques et le parti encyclopédique se disputaient plus ou moins ouvertement les nominations. La pièce, tout-à-fait parricide, de Chamfort, en 90, en éclatant, nous révèle tout ce qu’il y avait de haines sourdes qui couvaient entre confrères[1]. Pendant les dix ou quinze années de révolution qui suivirent, le parti philosophique était le maître à l’institut, dans les diverses sections ; je ne sais s’il y fut aussi intolérant qu’on l’a dit quelquefois ; les autres, en petit nombre, s’y montraient certainement assez hargneux. Sous la restauration, il y eut coup d’état dès l’abord et installation d’une majorité politique au sein de l’Académie plus que restaurée. Cette espèce de domination non littéraire, avec d’heureux intervalles pourtant, se prolongea jusqu’au renversement du ministère Villèle : c’est cette réduction, cette sujétion de l’Académie à un parti politique qui est, avant toutes choses, à éviter. La modération de la révolution de juillet a tourné l’écueil, et, bien qu’elle ait rempli l’Académie de ses personnages, ç’a été à des titres bien patens et sans idée aucune d’asservissement ou d’exclusion. Ainsi il n’y a plus de parti politique faisant loi à l’Académie. L’élection de M. Hugo vient de rompre toute reprise de coalition littéraire exclusive, si toutefois cela méritait ce nom. L’important, c’est que l’Académie soit libre dans ses choix, qu’elle les fasse aussi balancés, aussi imprévus, aussi étendus que possible, et sans s’interdire même les gens de lettres proprement dits, spéciaux, isolés, célibataires obstinés

  1. Cette pièce est d’ailleurs des plus piquantes pour l’esprit. Chamfort s’égaie bien vivement de l’homme de lettres célibataire de d’Alembert ; il commente très drôlement ce mot : « L’homme de lettres qui tient à l’Académie donne des ôtages à la décence ; » mais, si malin que fût Chamfort, n’était-il pas un peu bonhomme et crédule quand il disait : « Nous arrivons à la troisième fonction académique, les complimens aux rois, reines, princes, princesses ; aux cardinaux, quand ils sont ministres, etc. Vous voyez, messieurs (l’ouvrage est sous forme de discours), par le seul énoncé, que cette partie des devoirs académiques est diminuée considérablement, vos décrets ne laissant plus en France que des citoyens. » — Le monde me fait parfois l’effet d’une très bonne montre ; on fait tout pour la gâter et la déranger ; mais, pour peu qu’on la laisse quelque temps dormir tranquille, elle revient d’elle-même au bon point.