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sons et quelque grand hôtel à sa fille ; elle y pourrait faire jouer des comédies où ceux qu’elle a dû solliciter désireraient aujourd’hui une invitation, et ni les larmes ni les fatigues d’une pareille vie ne lui auraient ôté la vue du ciel. Mais, Sédaine ayant été poète pour vivre et maçon pour rire, il était nécessaire que ses enfans vécussent pour souffrir ; je dis ses enfans, car Mlle Sédaine a un frère plus malheureux qu’elle encore et aussi courageux.

Une circonstance curieuse achèvera le tableau de cette pénible vieillesse. Mlle Sédaine a présenté un mémoire, il y a huit ans, pour demander le rétablissement de sa pension de douze cents francs (sa seule ambition), et ce mémoire fut apostillé de MM. de Lamartine, Salverte, Dupin, Pagès, Étienne, Bignon, Viennet, Clément, de Vendeuil, Royer-Collard, de Salvandy, Duchâtel, Guizot et Thiers. Plusieurs de ces messieurs, depuis cette époque, ont été de temps en temps ministres, et n’ont pas eu, ce me semble, les égards que tout le monde en France aurait pour leurs noms propres, car enfin, chacun d’eux a retrouvé, sans en faire grand cas, la pétition qu’il s’était présentée à lui-même, a lu sa signature de protecteur sur sa table de ministre, et l’a dédaignée. — Ah ! messieurs, quand on devient roi de France, il est beau certainement de répondre : Je ne me souviens plus des injures faites au duc d’Orléans ; mais il serait encore mieux de dire : Je me souviens des demandes du duc d’Orléans.


Cte Alfred de Vigny.