Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/253

Cette page a été validée par deux contributeurs.
249
DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.

prendre parti, comme on l’a fait, pour la Nation contre la Famille, ou pour la Famille contre la Nation, mais il fallait trouver un moyen d’accorder le droit des héritiers avec le droit de la société. Or, dans cette discussion, messieurs les pairs n’ont fait autre chose que pousser tour à tour un peu en avant ou un peu en arrière la borne qui sépare les biens de la Famille de ceux de la Nation. Dans ce ballottage, les avocats des deux parties eurent évidemment raison, à mon sens.

Il serait juste, en effet, de dire que l’idée et sa forme appartiennent à celui qui les a conçues, et que si la propriété en a été reconnue appartenir à ses héritiers, on ne sait pas pourquoi la quatrième génération serait expropriée plutôt que la première. Mais il serait tout aussi juste d’ajouter que l’auteur, n’ayant conçu ses œuvres que pour en faire don aux hommes qui les acceptent et donnent en échange leur admiration et leurs deniers, il est bon que la propriété soit partagée entre la famille et la nation, et ce partage est facile à faire. Le pays doit déclarer que : « l’auteur ayant cessé de vivre, la propriété littéraire est abolie. Qu’à dater de ce jour, tous les théâtres pourront représenter les œuvres dramatiques aussi souvent qu’il leur conviendra, sans que les héritiers ou cessionnaires puissent retirer l’œuvre, en suspendre les représentations ou en empêcher l’impression ; mais qu’ils percevront un droit égal à celui que recevrait l’auteur vivant. Que les éditeurs auront tous le droit, aussi à dater de la mort de l’auteur, de publier autant d’éditions d’un livre qu’il leur conviendra d’en imprimer, moyennant un droit par exemplaire, proportionné au prix du format et à ses frais d’impression. »

Tout ainsi ne serait-il pas prévu ? La justice ne serait-elle pas satisfaite ainsi ? Le pays a souvent eu à se plaindre des longues interruptions que des difficultés de famille causaient dans certaines publications. On cite des mémoires célèbres et volumineux[1] qui n’ont pu être réimprimés pendant sept ans, des livres d’utilité pratique et d’instruction élémentaire qui ne peuvent[2] l’être encore pour cette raison. Le tort est réel, la nation a droit de se plaindre. Il est arrivé aussi que les héritiers d’un écrivain célèbre ont vendu à telle famille, blessée par des mémoires, l’anéantissement du livre. Ici encore la postérité est offensée, et nous devons prévenir ces corruptions. Cette esquisse imparfaite d’un projet de loi aurait encore l’avantage,

  1. Les Mémoires de Saint-Simon.
  2. La Tenue des Livres, par Desgranges.