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sans le moindre mérite, qu’il ne faut qu’une invention pour cent mille industries, tandis qu’il faut une invention par œuvre dans les lettres ; la chambre enfin s’arrêta encore dans le vague et le provisoire, car il n’y a aucun esprit attentif qui ne doive se demander pourquoi la troisième génération des descendans de tel écrivain célèbre serait expropriée plutôt que la première et la seconde. Aussi, dans un pressentiment de cette injustice, un orateur de la haute chambre éleva la voix pour donner en garde les familles dépossédées ainsi par la loi à la générosité du gouvernement.

Certes, messieurs, le sort actuel de Mlle Sédaine peut vous faire voir que dans les reproches que vous faites quelquefois au gouvernement, les folles dépenses sur ce point ne sauraient être comprises, et vous verrez bientôt, par une dernière note, combien au contraire ils méritent d’éloges de votre part pour leur économie exemplaire. Mais aussi, plus elle est grande, moins il serait sûr, vous en conviendrez, de leur léguer trop de veuves et d’orphelins sur parole.

Une chose a pu vous frapper dans cette discussion de la chambre des pairs, c’est qu’elle fut inattentive et n’atteignit pas toute la profondeur du sujet. Tout le monde y parut vouloir rester à côté de la question, et personne ne pensa à remettre la chambre dans la voie de l’idée vraie, non assurément que les grands talens et les nobles cœurs aient manqué parmi les orateurs, mais le temps sans doute pour étudier la matière, et aussi, on l’entrevoit, le courage d’avouer que l’on prenait, en face de la nation, une part entière, personnelle, vigoureuse, à une question d’art et de littérature. Vous verrez encore, je le crains, la même pudeur, un peu gênée, d’ailleurs, dans votre enceinte ; car, le moment venu, on craint d’insister, les plus lettrés se montrent les plus timides, je ne sais pourquoi ; un scrupule les prend, à leur insu, de ne plus se faire voir peut-être assez hommes d’état, de toucher à leur propre cause et de tenir trop aux œuvres d’imagination, non qu’ils ne sachent bien que ce sont là les premières et les plus sérieuses sous une forme passionnée, mais ils désespèrent de le persuader, n’en osent prendre la défense, et la loi va son train et règne sans obstacle, étouffant des noms et des familles, décourageant et détournant des vocations précieuses.

La question n’était point, je pense, de retarder de trente, de cinquante, ou même de cent ans, le moment où l’œuvre littéraire tomberait fatalement dans le gouffre du domaine publie, et de dérober ainsi, au profit de la famille, ces lambeaux de propriété conquis à grand’peine sur la propriété universelle ; il ne s’agissait point de