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Pourquoi se plaindre ? dit-on, Tasse et Camoëns ne se plaignirent pas ; Sixte-Quint garda les pourceaux, et J.-J. Rousseau fut laquais ; vous pouvez bien vous résigner à servir vous qui ne les valez pas.

D’où donc peuvent venir de telles intentions, et comment cette prétendue humilité se rencontre-t-elle chez ces hommes qui ne cessent de rechercher dans l’histoire les avilissemens d’autrefois, pour que l’on prenne gaiement son parti des souffrances de ce jour ? Eh quoi ! la civilisation n’a-t-elle pas marché pour tout le monde ? La classe moyenne, en élargissant son cercle, dont la France s’est assez enorgueillie, n’a-t-elle pas compris, dans une large circonférence, les maîtres de la pensée et de la parole ? Le bourgeois a bien cessé d’être vassal, l’écrivain a dû cesser d’être bateleur, parasite, laquais et mendiant comme ceux des siècles passés qu’on ne craint pas de donner en exemple à notre siècle. L’intention apparente de modérer les prétentions de la jeunesse n’excuse point les conseils insultans qu’on lui donne. Il est trop facile d’ailleurs d’en comprendre l’intention, et de répondre que le gardeur de porcs et le laquais de Mme de Vercellis n’étaient ni Sixte-Quint ni Rousseau. Le vigneron Félix Peretti, en 1529, pouvait bien garder des troupeaux ; mais sitôt qu’il sut lire, se nomma Montalte et eut fait son premier sermon de théologie à Sienne, il sentit ce qu’il pouvait être, et nul n’eût osé le renvoyer à l’étable. Le petit garçon qui arrivait de l’hospice des catéchumènes de Turin, en portant son habit au bout d’un bâton, pouvait être laquais parfaitement et sans déroger à sa gloire ; mais lorsqu’il eut écrit sa première page, et senti qu’il était Jean-Jacques en la relisant, quel prince, quel roi eût réussi à en faire autre chose que le plus indépendant et le plus fier des citoyens et des penseurs ? Cet homme si sensible et si susceptible qui permettait à peine aux grands seigneurs de lui offrir à dîner après vingt ans d’intimité et en sortant de leur table copiait sa musique, tout infirme qu’il était, pour ne vivre que de son travail, ne nous a confessé son état de valet que lorsqu’il s’est vu si haut qu’il ne risquait rien de l’avouer, et il a mis du faste à étaler cette plaie de l’enfance après avoir écrit le Contrat social et l’Émile. En vérité, prendre l’auteur de l’Inégalité des conditions pour modèle de résignation au dédain, c’est par trop maladroit. C’est celui-là, justement, qui a le mieux compris et enseigné la dignité de l’écrivain dans nos temps, et mis en pratique ce respect qu’il doit avoir pour lui-même, afin que l’on prenne au sérieux ses enseignemens. Pour affirmer que Camoëns et Tasse ne se sont pas plaints de l’injustice des temps, il faudrait