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DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.

quement les existences. De là la séance de la chambre des pairs du 28 mai 1839. J’ai espéré inutilement que les travaux de la chambre des députés lui permettraient de donner suite à un vote généreux, quoique bien incomplet. Voilà où nous en sommes aujourd’hui. — La loi de la Convention règne encore, et rien depuis n’a été fait, sinon un décret supplémentaire de l’Empire sur les ouvrages dramatiques posthumes prenant aussi les dix années pour terme.

Avant de porter vos regards en arrière sur ce qui fut proposé par des esprits graves et désintéressés à la chambre des pairs, ne pensez-vous pas qu’il soit utile de sonder la nature même de ce sentiment de justice qui appelle l’attention sur ce point et contraint les assemblées législatives d’accorder de temps à autre un sursis à ces familles condamnées ? Je n’hésite pas à le dire, ce sentiment ne prend pas sa source uniquement dans la pitié, mais aussi dans un fait incontestable, la dignité toujours croissante de l’homme de la pensée.

Au-dessus de toutes les ruines faites par nos révolutions, et de tous les abaissemens faits par nos démocraties, s’élèvent de plus en plus les têtes pensantes qui parlent aux nations. Poètes, grands écrivains, hommes de lettres (et ce dernier nom est resté, tout mal fait qu’il est, le nom général de la nation de l’esprit), tous ont droit, de par les travaux et les peines de leurs devanciers autant qu’au nom des leurs, à une meilleure et plus digne existence. Ceux-là sont aussi des serfs affranchis, et, à ce propos, je ne puis comprendre les erreurs et les idées fausses qui se répètent à nos oreilles de temps en temps, à époque fixe.

Il est nécessaire que je le dise ici, une étrange et secrète tendance se devine dans des écrits dont l’influence est incontestable, mais fatale. On dirait que certains hommes ont pris à tâche de porter atteinte à la considération des lettres, ce noble pouvoir ! comme si les résistances et les infortunes n’y suffisaient pas. Ils travaillent sans relâche à décourager les plus jeunes et les plus enthousiastes écrivains ; ils reviennent sans cesse à la charge, et jettent leur glace sur toute source chaude qui perce dans l’ombre ; on dirait qu’un silence universel, qu’une mort complète de l’art peuvent seuls les calmer. La légèreté, l’insignifiance accoutumée de leurs écrits, font qu’on ne les réfute jamais, et cette impunité les enhardissant, ils redoublent, et leurs idées fausses gagnent et sont répétées par les indifférens en grand nombre qui engourdissent le monde. On ne pourrait croire tout ce que fait dire l’ardeur étourdie de la critique et quels exemples on va chercher dans les chroniques d’un autre temps : —