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serré, difficile, habilement tordu par une main de maître qui sait ce qu’elle prépare. Voyez d’abord ce désœuvrement de château, que pourra-t-il éclore de là ? rien en apparence, et personne ne pense qu’il y ait chance pour nul évènement. Mme de Clainville s’ennuie à la campagne, c’est tout simple ; il y arrive si peu de chose et l’on a tant d’heures à employer ! Madame va de long en large sur le balcon, madame a épuisé en une heure toutes ses ressources de divertissement, cette liste de plaisirs innocens que Voltaire nommait, et elle le répète involontairement tout bas, les premiers des plaisirs insipides. Elle a visité la volière qui lui a sali les doigts et les cheveux, la basse-cour qui lui a sali les pieds ; elle a passé un moment à la porte de l’écurie à regarder la croupe luisante des chevaux, elle a dit bonjour aux palefreniers et bonsoir aux bouviers, en longeant l’étable et en regardant les vaches défiler la sonnette au col ; elle a passé la main sous le menton d’une petite jardinière, elle a voulu parler jardinage à la mère et n’a su que lui dire, faute de savoir les mots en usage, pendant que la jardinière n’a su que répondre de peur de les prononcer : dialogue muet et embarrassé ; elle a regardé le grand parc et la garenne avec tous ses lapins, elle a même parlé au garde-chasse édenté qui revenait avec tous ses chiens et un perdreau dont il écrasait la tête avec son pouce ; elle a dissimulé son mal de cœur le mieux qu’elle a pu, elle est revenue avec de l’eau, de la boue et de la paille sur ses bas blancs et dans ses petits souliers à talon haut ; quelque peu enrhumée, mais la conscience en repos sur son devoir de châtelaine qui se croirait fermière volontiers et utile au pays. Elle n’a plus rien à faire ; comme Titus, elle a rempli sa journée, et il n’est encore que dix heures du matin. De désespoir, et après avoir séché ses plumes et ses ailes, rentrée dans sa chambre à coucher, elle prend un livre (affreuse extrémité pour une femme du monde), et le mettant dans sa main droite, ouvert au hasard avec un doigt qu’elle y laisse, elle croise les bras de manière à couvrir ou couver plutôt l’heureux livre sous son épaule gauche, et s’appuyant sur son balcon, elle regarde pendant quatre heures la pluie qui tombe sur les passans.

Une longue plaine, une plaine de Beauce, j’en suis sûr, avec un bel horizon de blés et de blés coupés ; une grande route avec des rouliers en blouse et en bonnet de coton, un gros chien dormant sous la voiture, une grosse voiture de toiles mouillées, toujours des charrettes lourdes, lentes, des hommes en sabots, et pas même un coche ridicule qui la ferait rire avec ses nourrices ; mais de gros tonneaux