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DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.

dies qui pût rappeler ses aventures et une vie toute byronienne, comme nous dirions aujourd’hui. Ce serait donc une sorte de profanation que de chercher à savoir plus que le poète n’a dit de lui-même, et les commentaires minutieux, les inductions hasardées, les interprétations détournées, fausseraient à la longue l’esprit du spectateur, qui, au lieu de contempler les larges traits d’un tableau de la nature composé de manière à servir de preuve à quelque haute idée morale, n’y voudrait plus voir que l’étroit scandale de quelque petit roman intime où l’auteur paraîtrait comme acteur, et viendrait révéler sa vie privée, tout en dénonçant celle des autres. Ces fausses données ont d’ailleurs un grand malheur, c’est qu’il suffit d’une page de mémoires, moins que cela, d’une lettre pour les démentir et les rendre nulles.

C’est lorsque l’on veut apprécier le génie élégiaque qu’il convient de prendre l’auteur même pour but de son examen, puisqu’il est lui-même le sujet de ses œuvres. Ici la beauté s’accroît de la ressemblance du portrait. Le caractère et la vie du poète impriment leur grandeur et leur sentiment sur son image, et plus on retrouve l’homme dans l’œuvre, plus sont profondes les émotions qu’elle donne. Comme Narcisse, le poète élégiaque a dû se poser en tout temps sur le bord d’un ruisseau, s’y mirer et y dessiner avec soin son image ; il ne doit oublier ni un cheveu arraché, ni une larme, ni une goutte de sang, et c’est pour cela qu’on l’aime (quand on l’aime), et qu’il faut s’intéresser à lui forcément, puisque son personnage souffrant ou rêveur est le seul qu’il mette en scène, puisque partout et toujours il se regarde et se peint, et jusques en enfer, quand il ira, il se regardera encore dans l’eau en passant la barque d’Homère ou celle de Dante :

Tum quoque se, postquàm est infernâ sede receptus
In Stygiâ spectabat aquâ
.

Nous allons voir, en suivant la vie de Sédaine, combien son imagination fut indépendante des phases diverses de sa destinée, et qu’il ne prit soin que de perfectionner cette rare qualité qu’il eut et dont la difficulté est rarement comprise, parce que, plus on l’atteint, plus elle se voile sous le naturel, je veux dire la Composition.

Il ne s’était jamais avisé de rien écrire pour le théâtre, lorsqu’un jour de l’année 1754, il le raconte lui-même dans une lettre fort étendue, lettre inédite que j’ai entre les mains, et qui, jointe à sa correspondance et à ses œuvres posthumes, serait une bonne fortune pour les éditeurs ; lorsqu’un jour, dis-je, un certain Monnet, directeur de