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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

à qui de lui-même l’invention manquait un peu. On ne saurait méconnaître dans cet ensemble d’efforts élévation et courage.

Il s’embarque à Marseille sur le Thémistocle, le plus beau des vaisseaux d’Hydra, commandé par Tombasis, qui, un an après, devenait le navarque glorieux des îles en délivrance ; déjà on chantait à bord le chant de Rhigas. Il visita ces sites vénérés que la beauté décore, qu’a nommés la Muse, et parmi lesquels Ithaque, la pierreuse Ithaque, l’attirait plus tendrement par le souvenir d’Ulysse, et comme eût fait une patrie. Une ode de 1821 consacre cette impression bien sentie. C’est un des plus doux bonheurs du poète de pouvoir reconnaître un jour par lui-même les lieux désirés dont les noms erraient sur ses lèvres avec harmonie dans les rêves de sa jeunesse.

De retour en France en 1821, il publia, vers septembre, un poème lyrique sur la mort de Napoléon, morceau étendu, plein d’harmonie, de souffle et d’émotion. Le poète, rassemblant toutes ses ardeurs et ses enthousiasmes du premier âge, ne craignait pas de s’y montrer plus napoléonien qu’on ne se le permettait généralement alors dans cette fraction du parti libéral qui confinait aux opinions doctrinaires. C’était payer la dette du Prytanée. Il la paya complète : La pension de 1,200 francs qu’il devait à l’Empereur pour son ode à la Grande Armée lui fut ôtée par le ministère Villèle pour cet hommage de reconnaissance rendu au bienfaiteur mort.

Ce poème lyrique sur Napoléon, qui clot la série des odes de M. Lebrun, est certainement ce qu’on a écrit en vers de plus développé et à la fois de plus soutenu sur le grand homme avant que M. Victor Hugo en vînt à le célébrer. Le style lyrique de M. Hugo, par la magnificence de détail qu’il prodigue, fait tort nécessairement à celui de tous ses devanciers, et les deux Lebrun peuvent en souffrir. Béranger n’échappe aux confrontations qu’à force de traits aussi et par la perfection serrée de sa forme. Mais il semble que ce n’est plus assez maintenant, dans l’ode, que la roue aille vite, d’un noble et nombreux essor, et parcoure toute l’arène ; il faut que chaque clou y soit d’or :

L’or reluisait partout aux axes de ses chars.

Et quelquefois même il arrive que le char va tout lentement et presque au pas, comme pour mieux montrer chaque diamant. — Gloire pourtant et merveille ! le char s’emporte et vole, tout s’allume, tout n’est qu’éclair !

Le naturel et la grace en poésie résistent mieux aux modes, aux