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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

Je voudrais m’emparer de toute la nature.
..............
........Ah ! laisse-moi du moins,
Soulevant un moment ma chaîne douloureuse,
Rêver que je suis libre et que je suis heureuse.
Ne respiré-je pas sous la voûte des cieux ?
Un espace sans borne est ouvert à mes yeux.
Vois-tu cet horizon qui se prolonge immense ?
C’est là qu’est mon pays ; là l’Écosse commence.
Ces nuages errans qui traversent le ciel
Peut-être hier ont vu mon palais paternel.
Ils descendent du Nord, ils volent vers la France.
Oh ! saluez le lieu de mon heureuse enfance ;
Saluez ces doux bords, qui me furent si chers !
Hélas ! en liberté vous traversez les airs.

Béranger, qu’il sied si bien de nommer à côté d’un poète qui fut son ami de jeunesse et de tous les temps, a dit, par un sentiment assez semblable, dans le refrain touchant d’un captif :

Hirondelles de la patrie,
De ses malheurs ne me parlez-vous pas ?

Alceste mourante, dans Euripide, s’écriait : « Ô soleil, ô lumière du jour, ô nuages qui roulez sur nos têtes !… Ô terre, ô palais, ô lit nuptial d’Iolcos, ma patrie !… » Ce sont les deux mêmes sentimens que dans Marie Stuart, le regret de la patrie et le regard au ciel, si ce n’est que Schiller et M. Lebrun les ont réunis. De tout temps, les exilés, les mourans, les amans, se sont ainsi adressés volontiers à tout ce qui vole et passe, comme à des messagers de leurs regrets, aux échos, aux nuages, aux fumées qui montent à l’horizon, aux hirondelles de la patrie, aux flots qui peut-être ont baisé l’autre rivage[1].

  1. C’est le cas de rappeler les belles stances de Byron à l’Éridan, quand il charge les flots, qu’en naviguant il contemple, d’aller vers Ravenne couler aux pieds de la dame de son amour : « Le flot qui emporte mes larmes ne reviendra plus ; reviendra-t-elle celle que ce flot va rejoindre ? » On me cite encore la funèbre apostrophe que voici, tirée de la première scène de Rubena par le poète portugais Gil Vicente, de la fin du XVe siècle ; c’est l’héroïne qui, dans les transes étouffées d’un enfantement mortel, s’écrie : « Sombres et tristes nuées, qui passez si rapides, oh ! délivrez-moi de ces angoisses, et emportez-moi jusque vers les profonds abîmes de l’Océan où vous allez ; que mon malheur vous touche, et puissiez-vous me conduire en toute hâte à cette vallée de tristesse où les maudites du sort, où les infortunées sont ensevelies ! » — Par contraste, dans le Mariage de Figaro, Chérubin dit bien gaiement je vous aime aux arbres, au vent, aux nuages.