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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

nière plus naturelle et par la source où il puisait, réjouissait l’espérance des esprits libres, il satisfaisait pleinement les spectateurs simples. Sa nouveauté, sans avoir besoin de théorie, était aussitôt comprise, assortie par le sujet au génie français, au pathétique populaire. La Marie Stuart de Brantôme, celle qui mourut sur l’échafaud et qui fit ses adieux à la France, était restée dans toutes les imaginations, victime intéressante, figure embellie :

Coupable seulement des erreurs d’une femme,
Vos fautes dans le ciel ne suivront pas votre ame !

légende presque aussi présente que celle d’Héloïse, ou de La Vallière, ou encore de cette bonne impératrice Joséphine[1]. Quand on relit aujourd’hui Schiller, et que l’on compare avec la tragédie de M. Lebrun, on peut trouver, très à son aise, qu’il a trop sobrement glané à travers cette végétation de poésie si féconde et si luxuriante. Alors, par une impression tout inverse, il eût été blâmé plutôt d’en avoir trop gardé. Becquet le loue d’avoir séparé assez habilement l’or pur du plomb vil, d’avoir su éviter adroitement les fautes nombreuses qui déshonorent l’ouvrage de Schiller. « Il en est une pourtant, dit-il, dont il ne s’est pas garanti, la contagion germanique l’a gagné… » Qu’est-ce ? on attend l’énormité. C’est que M. Lebrun n’a pas observé l’unité de lieu. Mais, répondait-on, toute la pièce se passe dans l’intérieur du château de Fotheringay ; on ne sort pas de l’enceinte. Peu importe, ajoutait le critique ; dès qu’on baisse la toile, ne fût-ce que pour passer de l’antichambre dans le salon, l’unité de lieu est totalement violée[2]. C’est devant des juges de cette force, alors nombreux, gens d’esprit avec cela, qu’il fallait innover.

Dès la première scène de Schiller, le chevalier Paulet, gardien de Marie, est dans la chambre de la captive avec une espèce de serrurier ;

  1. On peut s’étonner qu’il n’y ait pas eu plus tôt en français de tragédie, du moins notable, sur Marie Stuart. C’était un sujet à tenter l’auteur d’Adélaïde du Guesclin et de Tancrède. Boursault, sur la fin du XVIIe siècle, en avait fait une pièce ridicule. Celle d’un certain Regnault en 1639, et une autre d’un anonyme en 1734, furent en naissant oubliées. Une des moins mauvaises était encore l’Écossoise du vieux poète Montchrétien, de l’école de Garnier. Marie Stuart, énumérant tous les malheurs qui l’ont assaillie dès le berceau, y dit ces deux vers touchans :

    Comme si dès ce temps la fortune inhumaine
    Eût voulu m’allaiter de tristesse et de peine.

    Alfieri a fait une Marie Stuart, mais qui n’est pas de l’époque de l’échafaud.

  2. Dans son second feuilleton du 20 mars.