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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

Ce sont là des vers charmans, mélodieux, de l’école de Racine ; je n’y regrette que cette fumée d’Ithaque que l’Ulysse d’Homère aurait voulu voir seulement de loin, et puis mourir.

La pudeur de Pénélope, lorsqu’accordée par son père Icare à Ulysse, elle se voila et ne répondit au désir de l’époux que par l’aveu du silence, y est rappelée en des vers non moins touchans. La ruse du tissu y est ingénieusement exprimée, bien qu’avec une élégance singulièrement moderne, par la bouche du bouvier Eumée.

Mais, dès qu’Ulysse a vu l’arc, cet arc voulu par l’oracle et que seul il peut armer, le sentiment de vengeance éclate en lui avec toute l’antique beauté. L’horreur sacrée des foudres de Dodone a tous ses échos dans les vers suivans :

Ce jour doit être sourd, aveugle, inexorable,
Et ne sera content que du dernier coupable.
................
........Eumée, ah ! quelle joie
De tenir dans mes mains et leur vie et ma proie,
De les voir, reculant à l’aspect de leur roi,
Fuir sans trouver d’asile où se sauver de moi,
Et, pâles de leur crainte et de la mort future,
Implorer vainement, même la sépulture !

Les souvenirs d’Homère se combinent, se croisent, vers cette fin, avec ceux de Virgile, et sans s’y affaiblir : on sait le pallida morte futura de Didon. Comme étude d’imitation et de style, Ulysse garde son prix.

La chute de l’Empire remplit l’ame de M. Lebrun d’amertume et de patriotique douleur. Les mêmes malédictions durent lui échapper, que tout à l’heure il prêtait à Ulysse vengeur. Deux odes de 1814 en font foi ; ce sont des messéniennes écrites sous le coup. L’une a pour titre Jeanne d’Arc ; l’autre est une paraphrase très sentie du psaume Super flumina. En même temps, le changement de régime avait pour effet de rendre sans réserve le poète à la vie littéraire ; il n’y appartenait plus tout entier depuis quelques années. Selon l’usage de l’Empire, où les lettres se coordonnaient volontiers aux affaires, il occupait dans l’administration bienveillante de Français de Nantes une place assez considérable au Havre, une de ces places, il est vrai, données tout exprès pour très peu assujettir ; il passait une bonne partie de sa vie à Rouen ou à Paris. Revenu pourtant à sa pleine liberté et obéissant à l’aiguillon d’une émulation généreuse, il put,